1 - Maison vide, maison pleine

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LUI
Je ne pensais pas revenir dans ce vieux patelin. Je ne pensais vraiment pas devoir remettre les pieds dans cette putain de baraque, mais c'est tout ce qu'elle m'a laissé, après le divorce. J'ai tellement du mal à y croire et, pourtant, tout est écrit. Tout est là, devant moi, posé sur le tableau de bord de ma jeep. Un divorce dont je ne voulais pas. Qui n'a pas de sens. Elodie comptait pour moi. Tellement que j'ai tout arrêté pour elle et me suis repris en main.

Cette fille a été la lumière au fond du tunnel, me permettant à nouveau de respirer. J'avais l'impression de vivre un rêve éveillé, une histoire d'amour que l'on retrouve uniquement dans les films. Seulement, toutes ces romances à l'eau de rose ne racontent pas la suite des aventures des deux amants. Il n'y a jamais de tome deux, et pour cause ! Il serait bien trop triste, bien trop réaliste. Les deux amoureux, qui ont réussi à affronter tous les obstacles les séparant, se prendraient brusquement une grande claque en pleine gueule en prenant conscience des petits détails de la vie, qui nous éloignent tous un jour l'un de l'autre.

Elle a été la lumière au fond du tunnel, mais ce n'était qu'un mirage. Une vague pause avant que toute la merde qui me tombe constamment sur la tronche revienne me tourner autour. C'est con quand j'y pense, car j'aurais tout fait pour elle. J'étais prêt à construire une famille avec elle, à avoir des enfants. La seule chose qui m'éloignait d'elle était ma raison d'exister. Plus d'une fois, elle m'a demandé d'abandonner mon boulot. Je ne lui ai jamais répondu et Elodie n'a jamais été stupide. Parfois, je me demande si c'était une bonne idée de tomber amoureux d'une femme comme elle. Elle avait bien compris ce qui se tramait tout là-bas, au fond de ma tête. Elle savait que si je ne rentrais pas immédiatement à la maison, lors des retours de mission, ce n'était pas pour la tromper. Mais juste pour ne pas la voir tout de suite. Je ne pouvais tout simplement pas la regarder en face, car je n'arrivais pas à croiser mon propre regard dans un miroir. Elle voyait ce que mon fichu métier me coûtait. Mon âme. Ma vie.

J'avais vu les prémices de son départ, mais je n'ai pas voulu y croire. J'ai préféré me mettre des œillères et partir sans me retourner, en priant pour, qu'en revenant, elle m'attende sagement à la maison. Elodie n'a jamais été une fille sage. Les rares fois où j'avais le droit de la contacter, elle semblait ailleurs, et pour tout dire, moi aussi. Je m'éloignais peu à peu de la réalité, devenant le robot mécanisé qu'a façonné ma très chère patrie. Et ça, c'est une chose qu'a appris à reconnaitre ma femme. Mon ex-femme. Elle savait que la guerre me dégommait et qu'à chaque retour de mission, je revenais, toujours un peu plus détruits, toujours un peu plus mal. Toujours avec un bout d'âme en moins.

Ça a été la mission de trop pour elle. Elle a juste cessé de se battre pour moi, et je ne lui en veux même pas. Hell, mon sous-officier régulier, n'était pas d'accord avec moi, mais il ne me connait pas comme Elo me connait. Il y a le bon gars au fond de moi et il y a l'autre. Et Dieu sait combien je le déteste ! Mais il fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Un des plus jeunes soldats promus lieutenant aux commandes d'une section de trente-cinq hommes. Un jeune militaire ayant déjà son quota de succès et de gloire. Et de sang sur les mains. 

Avant, j'étais heureux de revenir dans cette petite maison de campagne, dans le centre de la France. Le voisinage a toujours su m'apporter le calme dont j'avais besoin. Lorsque je revenais, bien souvent, Elo et moi allions manger chez les Durand, qui voyaient en moi le héros du pays.

En apprenant ça, Hell avait passé quinze minutes à se foutre de leur gueule. Et de la mienne au passage. Mais je suis habitué à son tact légendaire et à son humour plus que douteux. Après tout, nous nous côtoyons souvent. C'est le seul soldat que je m'entête à appeler lorsque je suis rentré chez moi. Comme si j'avais besoin de garder continuellement le contact avec une personne de mon autre vie. Et disons que j'ai bien choisi mon gars, car Hell est le genre d'homme que rien n'ébranle. Même mes démons intérieurs n'ont pas réussi à le faire sortir de son flegme habituel.

Section Aguara, TOME 1 : Pour quelques douleurs de plus [sous contrat]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant