La pluie battait son plein, frappant contre les vitres de la grande cage en verre qui protégeait Nikolaï et son ancien professeur d'anglais des gouttes d'eau. Le premier était installé à une table sur laquelle gisait un ornithorynque ouvert en deux, ses boyaux dégoulinant tels des asticots posés autour. Le professeur, lui, était posté sur une chaise typique des grands réalisateurs hollywoodiens, un appareil photo rose bonbon pour petits enfants dans les mains. Tour à tour, des hommes défilaient devant lui, entièrement nus. Chacun passait par la petite porte située au fond à droite, tout aussi transparente que les murs de verre. À chaque fois qu'ils prenaient la pose, un clic suivi d'un "bravo !"clamé par des petites filles retentissaient, et le professeur lançait "au suivant", d'une fois dénuée de toute envie de vivre. Nikolaï, plongé dans sa taxidermie, ne faisait pas attention à ces énergumènes à poil, trop concentré.
Soudain, un homme barbu débarquant de nul part hurla "ALLAHU AKBAR" en brandissant le drapeau de l'URSS bien haut à l'aide de ses moignons ( car il n'avait visiblement plus de main), puis s'en alla en trottinant gaiement. Le regard du jeune descendant slave se leva, et, d'entre ces murs de verre entra Joseph, lui aussi totalement nu. Seule une feuille de vigne cachait sa jolie petite paire de couilles. Il chantait "la flûte en chantier" de sa voix douce et fluette. Le garçon, du haut de ses seize ans (ou dix-sept, on ne savait pas, ses parents ne l'avaient pas déclaré à sa naissance et avaient même tenté de l'abandonner plusieurs fois, mais Joseph était revenu, et alors ils avaient commencé à l'accepter), était vachement bien foutu. Nikolaï, un filet de bave coulant au coin des lèvres, l'observait attentivement. Petit à petit, Joseph se rapprocha sensuellement de lui, roulant des hanches tel une gazelle en chaleur, puis posa ses mains sur ses épaules, a la naissance de son cou. Lentement, ses doigts descendirent le long du torse du blond, allant jusqu'à détacher les boutons de sa chemise. Mais un sursaut parcourut l'échine du beau moustachu. Ses yeux, paniqués, s'ouvrirent, et il découvrit Sandy, accrochée à lui, une main dans son pyjama.
-Ah ! cria-t-il.
-Ah ! cria-t-elle.
Il se dégagea brutalement de l'emprise de la violeuse qui se relevait, croisant les bras.
-Wesh tu fous quoi ? s'exclama Niko de sa voix rauque du matin.
-Ça avait l'air de te plaire petit coquin ! roucoula l'autre gogole en mimant un petit geste de chat.
C'est alors que le blondinet prit conscience du rêve qu'il venait de faire, et surtout de la courgette bien dressée entre ses cuisses. Il prit alors ses jambes à son cou et se précipita dans la salle de bain, attrapant au passage ses vêtements entassés au pied du lit à baldaquin. Là-bas, il se calma (et se branla un con coup), puis s'habilla en vitesse. Ne prenant pas la peine de saluer la perverse, il courut hors de l'appartement, descendant dans la rue malgré la nuit toujours présente.
Il faisait froid, les lampadaires n'étaient pas tous allumés et les quelques néons ne suffisaient pas à éclairer nettement le chemin. Le froid était si intense qu'il traversait les petits poils de la moustache impeccable de Nikolaï. Il regardait les alentours assombris de la ville, ne sachant pas où aller... à droite, un éléphant passa (chose normal au Texas) et à gauche il remarqua une sorte de rassemblement de sans abris, protégés du vent et des regards indiscrets par un pont. Nikolaï se rapprocha d'eux, après tout, lui non plus n'avait plus de maison, au moins pour la nuit, et il décida alors d'aller les voir. Il fut surpris de ne pas atterrir dans un cliché où il se serait fait manger par ces pauvres gens. Ceux-ci le regardèrent, étonnés d'avoir de la visite. Ils étaient une dizaine. Certains lisaient mais beaucoup parlaient, et surtout, tous grelottaient....
-Eh, t'es qui ? demanda l'un des SDF
-Nikolaï, je m'appelle Nikolaï Vodoleïev, puis-je me joindre à vous ?
-Mais bien-sûr gamin !!! Moi c'est Jeannot, là y a Martine, Ben, Audrey, Joshua, Kylian dit Kiki, Kateline, John le blond et là John Junior, présenta l'homme en désignant chacune des personnes tour à tour...
Ils lui sourirent tous, il se sentit adopté dès cet instant. Il s'assit entre les dénommés Ben et Audrey.
-Et si on chantait pour rallumer nos cœur ? proposa Jeannot. Kiki passe la guitare et la bouteille de whisky !
Après avoir sifflé une bonne partie du Jack Daniels, il entonna un air populaire, pas vraiment dansant, mais Nikolaï ne prit pas la peine d'écouter les paroles au début, perdu dans ses pensées devant la beauté de la scène... cela lui faisait penser à sa jeunesse, à la chorale de son collège. Car même s'il se faisait embêter par le gros Heirich, il adorait chanter... alors petit à petit, bercé par le doux filet de voix d'Audrey il écouta les paroles. C'était une sorte de chant révolutionnaire... il incitait le peuple de se soulever, faisait appel au monde entier, dépassant les frontières. Ce chant était très engagé, et Nikolaï fut surpris : cela lui plaisait. Il n'avait pas l'habitude de la politique et ne s'y était jamais vraiment intéressé, il savait que le monde était sur le déclin mais il menait sa vie et n'avait pas le temps de se poser toutes ces questions humaines à laquelle la chanson apportait des réponses. Il se surprit même à demander, une fois la chanson finie, pourquoi ils la chantaient. Jeannot, qui aimait autant parler que boire, tira encore un coup sur le Jack Daniels puis lui répondit :
-Tu vois gamin, le monde dans lequel on vit est triste et misérable. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.
Il continua ainsi à expliquer les problèmes de la classe ouvrière, les prolétaires... ces sans-abris se disaient néo-communiste, mais préféraient qu'on les appelle les évolutionnaires... Nikolaï prit conscience peu à peu des vrais maux du monde, de comment le changer, de ces pseudos communistes qu'avaient été Mao, Staline ou bien d'autre. Jeannot parlait avec un grand recul malgré son engagement, il lui annonça aussi qu'une révolte grondait dans l'ombre, les évolutionnaires de tous les pays s'uniraient bientôt et prendraient le pouvoir. Nikolaï, des idées plein la tête, se mit à s'imaginer leader de la Révolution fraternelle, proposant l'égalité à tous les peuples. Il se mit en tête ces grands modèles qu'il se promit de lire, de Rosa Luxembourg à Léon Blum, en passant par Marx ou Gramsci... la politique, l'engagement et la volonté s'étaient emparés de lui, mais pas la pseudo politique pratiquée par des gens en costard dans des bureaux, non. La vraie politique, celle qui fait bouger les gens. Était-ce la fièvre de la soirée ou simplement les idées de cette vie meilleure et l'espoir de la fin du capitalisme ? En tout cas, il souriait. La soirée continua, on parlait politique, on dansait, on fêtait la vie...
Il s'endormit ici, avec ces démunis à qui tout ce qu'il restait était l'espoir.
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Nikolaï
ComédieL'histoire d'un communiste maçon vendeur de disque vivant aux usa, le pays de l'impérialisme, et de son amour avec Joseph, un petit stagiaire au boule qui chamboule.