Episode 16

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« L'une des plus grandes douleurs est d'aimer une personne que tu ne peux pas avoir »

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Sur le toit, on pouvait apercevoir une trentaine de pigeons qui avaient élu domicile ici. La maison était très ancienne et pas du tout entretenue. Les deux femmes traversèrent le jardin aux grandes herbes. En arrivant devant la porte, une femme non identifiée ouvrit, avant même qu'elles aient eu le temps de frapper. Elles étaient attendues. En entrant, quatre gros chats vinrent près des invités. L'un d'entre eux se permit par cordialité de pisser tout près d'Inès. Sans parler, la dame non identifiée les salua d'un geste de la main et les invita à la suivre jusqu'au salon, où l'attendait madame Bourrin, assise près d'une fenêtre. Cette dernière dévisageait déjà Inès, en la regardant de haut en bas avec dédain. Elle avait l'air de l'examiner. Les deux invités serrèrent la main de la vieille dame, puis s'installèrent tout près d'elle. Mesdames Bourrin et Leroy se mirent à parler, alors qu'Inès ne sortit pas un seul mot. Elles discutèrent de l'entretien d'une ferme, de l'apprentissage des tâches ménagères, de cuisine et de bon comportement. La tante Leroy avait l'air de vraiment s'ennuyer. Inès ne s'amusait pas non plus. Soudain, Robert Bourrin arriva en claquant la porte.

— C'est moi😀 !
Il baisa le front de sa mère et salua madame Leroy et sa nièce. Robert monopolisa la parole en parlant surtout de politique et en regardant avec une certaine insistance Inès qui resta les yeux baissés pendant trois quarts d'heure.
Quand cela fût terminé, Robert proposa de les ramener chez elles avec sa voiture. Madame Leroy accepta. En arrivant à Sainte-Adresse, il leur proposa de revenir la semaine suivante. Madame Leroy accepta. « Il va encore falloir que je le supporte pendant une heure » se dit au fond d'elle Inès. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que sa tante voulait qu'elle le supporte toute sa vie, et qu'elle allait très bientôt lui annoncer la nouvelle, avec l'accord de la mère de monsieur Bourrin, qui comptait bien assister au mariage.
Dans sa chambre, seule, Inès se dit qu'elle avait gâchée une journée entière, qu'elle n'avait pas pu passer du temps auprès de ses amies, mais surtout « tout près d'Antoine » se dit-elle, ce jeune homme si réconfortant.
Le lendemain soir, Pierre arriva dans sa voiture, conduite par son « assistant » qui l'accompagnait depuis plusieurs années. Le visage sans émotion de madame Leroy se transforma en visage plein de joie en voyant son ami. Elle se tenait sur le seuil de la porte et l'accueillit les deux bras bien ouverts. Elle le prit dans ses bras et salua ensuite son assistant.
— Je suis venu te sortir un peu de ta solitude. J'avais tellement envie de te voir depuis tout ce temps qu'on ne s'est pas vu. Je reste ici quelques jours.
- Quelques jours seulement... Je crois que je vais te kidnapper et te garder un peu plus longtemps, à moins que tu t'ennuies.
— Moi, je ne m'ennuie jamais ! La discussion et le travail me suffisent.
L'assistant alla garer la voiture comme lui avait demandé madame Leroy.
Vous savez, Bernadette, lui, vous pouvez lui demander n'importe quel travail ou corvée, il est bon à tout.
— Oh ! Ne le dites surtout pas à mes domestiques, ils vont abuser de lui. Viens, je t'emmène dans ta chambre, je t'ai pris celle du rez-de-chaussée, elle est confortable.
Elle accompagna son invité dans sa chambre.
— Voilà pour toi ! Elle n'est pas spacieuse, mais un voyageur comme toi est habitué à tout.
Oh ! Elle est assez spacieuse. Je ne m'attendais pas à un palace en arrivant ici, ne te fais pas de souci.
— Tu as encore des souvenirs de cette maison, alors ?
— Oh oui, beaucoup de souvenirs de nos jeunes années, ici surtout, je me souviens de tous les recoins de la maison.
Elle se mit alors à penser à cette époque révolue pendant que son ami rangeait ses affaires.
— Et ta nièce, elle est ici ? Qu'est-ce qu'elle devient ?
La légèreté de son corps céda alors la place à une certaine rigidité.
— Elle s'est blessée en voulant aider un enfant qui tombait d'un cheval, si je me souviens bien. Ensuite, elle a été soignée par un docteur parisien qui passe ses vacances ici avec ses filles. Depuis cet incident, elle passe de nombreuses journées chez ses filles, qui sont devenues ses amies, je crois. Mais je vois cela d'un très mauvais œil. Ses filles n'ont pas reçu la même éducation qu'elle.
« Et heureusement » se dit Pierre qui avait eu l'occasion de voir un petit peu comment était traitée Inès il y a quelques années.
— Mais bon, reprit madame Leroy, je n'ai pas eu le choix. Le docteur prétendait qu'elle avait besoin d'être suivie pour des soins quotidiens, alors...
— Bernadette, les principes, c'est tout à fait correct mais, il faut faire attention à ne pas trop s'inquiéter non plus; le docteur Martin, je le connais depuis longtemps et je sais que c'est un homme très sensé, raisonnable, avec un bon sens de la morale, même si je ne connais pas ses filles, il a dû leur transmettre une bonne éducation, il me semble.
— Oui, elles ont eu une bonne éducation. Seulement, ce qui me gêne chez elles, c'est qu'elles aiment beaucoup la musique. Certaines d'entre elles sont amatrices de musique. J'ai même entendu que l'une d'entre elles travaille dans le monde de la musique. Comme la mère d'Inès...
Puis elle reprit un ton beaucoup plus grave et sec :
— Mais de toute façon, Inès n'éprouve absolument rien pour ce genre de divertissement. La musique, ce n'est pas son truc et elle n'a pas l'air très enthousiaste à l'idée d'aller leur rendre visite. Ce ne sont que des amies de vacances. Enfin bref... je vais travailler, retrouvez-moi dans mon bureau pour 17 h.
Au moment venu, Pierre la retrouva accoudée sur son bureau, la paume de sa main sur son menton.
— Bernadette, tu vas bien ?
— Tu as l'air fatiguée...
Elle se redressa assez brusquement.
— Oh, tu sais, j'ai bientôt soixante-cinq ans. À cet âge, certains parviennent à rester jeunes. Pas moi.
Viens, nous allons dîner. Mélanie a préparé pour nous un gratin. Fais-lui des compliments si tu aimes le plat. Elle est très sensible aux compliments.
Ils allèrent ensuite tous les deux à table, où étaient installées Inès et Catherine, qui étaient en train de discuter. Pierre fit la bise à Inès.
— Je t'ai seulement aperçu à Paris, mais on ne s'est jamais rencontrer. Je suis ravi de faire ta connaissance !
— Moi aussi, monsieur ! dit Inès.
La gaieté qui émana de cette réponse surprit madame Leroy qui n'avait jamais vu ou entendu sa nièce ravie de voir qui que ce soit ou quoi que ce soit.
Ensuite, Pierre répondit avec enthousiasme aux réponses de Bernadette, pendant qu'Inès discutait avec Catherine. Inès parlait légèrement plus fort que d'habitude, mais gardait cette réserve qui était l'une des empreintes de son éducation.
— Tu as des relations ici ? demanda Pierre à son amie.
— Et bien, je connais madame Bourrin qui a une maison pas très loin d'ici.
— Bourrin... dit Pierre, ça me dit quelque chose...
— Son fils, sans doute, qui habite à côté.
— Ah oui ! Je me souviens un grand buveur, il faisait aussi de la chasse et parler beaucoup et très fort.
— Non, lui c'était le père. Il a quitté le foyer. Il revient de temps en temps, parait-il, sans prévenir.
— Ah.
— J'ai aussi rencontré le docteur, pendant qu'il faisait une balade à cheval.
— Tu m'avais un peu parler de ses filles, mais tu ne les as jamais rencontrées...
Il tourna alors son visage vers Inès.
— Et toi, on m'a dit que tu les as rencontrées et que tu es même devenue l'une de leurs amies. Tu les trouves comment ?
 — Elles me plaisent beaucoup😊, dit Inès.
— Il doit y avoir aussi leur cousin Arthur, là-bas ?
— Oui, il était aussi là.
— Elles ont un cousin ? dit avec un grand étonnement madame Leroy.
— Oui, répliqua Pierre, un très jeune homme d'affaires, très charmant et intelligent. J'ai connu son père il y a longtemps, maintenant, je discute avec lui. On discute surtout par téléphone.
Madame Leroy serra les deux mains, Inès le remarqua, puis elle se retourna vers sa nièce pour lui dire :
— Vous ne m'avez jamais parlé de lui, vous 😤😤😤?

La fille maltraité et le milliardaire américainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant