Chapitre 4

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Le président qui, pour le moment, n'a pas daigné me porter une quelconque attention, a bien été obligé de poser sur moi ses yeux hautains et dédaigneux, lorsque je lui ai tendu mes fleurs et que je suis allée m'installer sur les marches du Palais Présidentiel, à côté du Premier Ministre. Un murmure scandalisé fit le tour de la foule en désordre, Eunice me jeta un regard interrogateur, mais je m'accrochai au sourire chaleureux de ma mère, qui, à ma grande surprise, leva un pouce en l'air.

J'ai du mal à croire que je viens de faire ce que j'ai fait. Suis-je folle ? Est-ce que je viens vraiment de postuler au gouvernement, défiant par la même occasion la loi et le Président ? Oui. Je l'ai fait. Car des sept, le palais Présidentiel est le seul où je peux rentrer sans posséder de Faculté, même si je risque d'en ressortir encore plus vite. Que ferai-je donc, une fois que je serai chassée par le président en personne, que ma tête fera la une de tous les journaux et qu'aucune Faction ne voudra de moi, si ce n'est celle de mes parents, qui m'acceptera plus par pitié qu'autre chose, bien que je n'aie aucun don de Télépathie.

Je suis tellement focalisée par mon avenir que je n'ai pas remarqué que la Cérémonie a pris fin. Sans surprise, Marika et Eunice ont rejoint les rangs des Télépathes. Mais une chose me préoccupe plus : un garçon a fait le même choix que moi. Sans que je le remarque, il s'est installé trois marches plus bas que moi. Ses deux parents sont venus le voir et lui ont chacun mis une gifle, avant de se transformer en de superbes oiseaux et de s'éloigner en quelques battements d'ailes. Le président, lui, est parti tel une bombe voir mes parents. D'ici, je n'entends rien mais les cris lointains du président et ses gestes brusques me permettent de reconstituer la conversation. Le Premier Ministre me chuchote à l'oreille :
- Vous m'avez l'air téméraire. Ça me plaît.
Je souris, surprise et soulagée.
Le président revient et s'adresse à moi sur un ton si froid qu'il me glace les entrailles :
- Tu joues les rebelles, mais si tu envisages une seule seconde de devenir l'héroïne modèle de tous les enfants, tu risques d'être grandement déçue. Personne n'est plus puissant que moi. Et surtout pas une fille.
- Je n'ai absolument aucune intention de m'emparer du pouvoir, Monsieur. Et, avec tout le respect que je vous dois, je vous demande cependant de garder pour vous vos remarques misogynes car elles ne feront rien avancer. Mon choix est fait, quelles que soient les conséquences.
Mon interlocuteur pince les lèvres et c'est à ce moment que je me rends compte que j'aurais sûrement dû, une nouvelle fois, faire preuve d'un peu plus de tenue. Au moins, me dis-je, le président a déjà bénéficié d'un aperçu de mon caractère.

Le garçon se lève et se retourne pour gravir les marchés du Palais Royal. Son visage m'est familier. C'est l'ami de l'amoureux de Marika, qui avait soupiré et rappelé que les étreintes étaient interdites. Il a perdu le petit sourire qu'il avait ce jour-là. À présent, son visage est grave et fermé. Il semble déjà regretter son choix et craindre l'avenir. Mais, voyant du coin de l'œil que je l'observe, il se dépêche d'afficher un air hautain et sûr de lui.
Nous pénétrons dans le grand hall. Des colonnes de marbre s'alignent sur les côtés et un tapis de velours rouge et or s'étend jusqu'en haut des marches de l'escalier qui se tient, majestueux, devant nous. Un jeune homme arrive, les cheveux gommés à la perfection, le costume immaculé, et prend la veste du président. Ce dernier se tourne vers nous et lance ces mots, comme il jetterait des miettes de pain à des canards :
- Au fait, j'espère que vous vous entendez bien, parce que vous dormirez dans la même chambre. Ce n'est pas un hôtel pour les gosses qui veulent jouer les rebelles, ici !
Je hoche la tête, un peu dépitée. Le garçon lui aussi semble déçu.
Nous suivons Maximilien (car c'est le nom de notre président, que j'ignorais jusqu'à le voir sur un tableau accroché sur l'un des murs) dans l'escalier. Arrivés en haut, nous tournons à gauche et nous avançons dans un immense corridor rouge et or, couleurs qui semblent dominer chaque centimètre carré de ce palais. Au bout du couloir, nous montons une autre volée de marches qui nous mène jusqu'à une pièce, où nous poussons une porte qui découvre une autre allée. Maximilien s'engage dedans et ouvre un second battant. Nous pénétrons dans de luxueux appartements, en enfilade. La chambre possède un balcon surplombant le Jardin Royal, resplendissant avec ses multiples fontaines et des chemins ombragés. Des haies décorent le tout, et, au centre de ce magnifique spectacle, un saule pleureur décore une sorte d'aire de banquet extérieur au gazon verdoyant sous le soleil de midi. Hommes et femmes s'activent autour d'une longue table, y déposant nappe et couverts. Je n'avais pas remarqué la présence du président et du garçon à côté de moi.
- Ceux qui ont eu moins de culot que vous, déclare Maximilien, m'ont juré service et fidélité. Ils ne sont pas malheureux. Ici, ils sont nourris et logés. Je vous ai à l'œil. Je ne sais pas à quoi vous vous attendiez en venant ici, mais je ne vous offrirai pas vos vies sur un plateau. Le repas sera servi dans vingt minutes. Sachez que le retard n'est pas toléré ici, et vous vous êtes déjà suffisamment faits remarquer.
Sur ce, il tourne les talons, quitte la pièce et disparaît dans le couloir en claquant la porte.

- Il me fait flipper, ce type-là. Pas toi ?
- Non.
Contrairement à Eunice et Marika, je n'ai aucun don pour la conversation.
- Je m'appelle Viggo, déclare-t-il.
- Olympe.
Nous choisissons chacun un lit, et je m'allonge sur le mien. Il est moelleux. Doux. Il sent bon. Je ferme les rideaux ; c'est un lit à baldaquin. À la maison, je partageais un lit avec Hugo. On ne le lavait que très rarement. La couverture était noire et rèche.
J'ouvre mon sac. Avant de partir, j'ai pris soin d'emporter un pull de Maman. Je le porte à mes narines. Son odeur est douce, agréable. J'ai aussi apporté une photo de nous quatre. Je la dépose sur la tête de lit et m'enfouis sous la couette.

Sans le remarquer, je me suis assoupie. Le repas a commencé depuis plusieurs minutes lorsque nous arrivons dans le jardin, essoufflés par notre course effrénée dans les couloirs du Palais.

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