Chapitre 5

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L'air, embaumé par les fleurs, nous offre une atmosphère douce et sucrée. Le soleil nous caresse doucement la peau et quelques conversations semblent venir du saule pleureur. Une dizaine de personnes est déjà attablée et bavarde gaiement. Nous nous glissons discrètement sur deux chaises. Par chance, Maximilien est bien trop absorbé par sa conversation pour remarquer notre arrivée. Viggo et moi faisons mine de discuter. Une petite tape légère sur mon épaule interrompt, à mon grand soulagement, l'échange de banalités qui avait commencé entre nous. Je me retourne. Une dame blonde, plutôt ronde, me sourit :

- Bonjour, toi.

- Euh... Bonjour, bredouillai-je, troublée. Vous m'avez touchée ? Et... et je n'ai rein ressenti ?

- Oui, ma chérie, répondit-elle. Dans l'enceinte du Palais Royal, le contact est autorisé. Dis-moi, je ne t'ai pas encore vue, quel nom portes-tu ?

- Je m'appelle Olympe. Olympe Gardner.

Son regard s'éclaira et son sourire s'étira encore plus (chose que j'aurais crue impossible, mais la bonne humeur de cette femme semble sans limite).

- Moi, c'est Lykka. Enchantée de faire ta connaissance. Je suis la leader des Souffleurs de Rêves.

- Mais... que faites-vous ici ? demandai-je, intriguée.

- Quelque chose semble se tramer en ce moment. Maximilien a réuni tous les leaders en urgence.

- Une urgence ? Que se passe-t-il ? l'interrogeai-je, encore plus intéressée.

Sa bouche s'ouvrit mais se referma aussitôt.

- Rien qui ne regarde une enfant.

Le président se leva, un verre de vin à la main. Il se racla la gorge avant de commencer :

- Hum... Votre attention s'il vous plaît. L'heure est grave mais nous ne devons pas nous laisser abattre. Pour le moment, profitons de notre délicieux repas, sous ce soleil éblouissant.

Une salve d'applaudissements polis accueille ces paroles. Tout en sirotant distraitement son cocktail, Lykka me murmure :

- Du Maximilien tout craché, ce discours. La façon correcte de dire "Il se passe plein de choses catastrophiques dans le pays, mais attendons que les problèmes se règlent seuls et mangeons pendant que des centaines de personnes meurent de fin aux quatre coins du pays".

Je souris. Lykka semble avoir un sacré caractère. Une dizaine d'hommes et de femmes vinrent ensuite nous apporter des plateaux garnis de mets alléchants, que je dégustai avec un enthousiasme qui ne me ressemblait pas. Je vis dans le regard de Viggo que lui non plus n'avait pas été habitué à cette nourriture. À la maison, un employé Central passait trois fois par jour nous apporter des plateaux contenant des plats parfois froids, dégoûtants et fades ainsi qu'une carafe d'eau. Lykka m'observe et sourit :

- À te voir, on dirait que c'est la première fois que tu manges. Ma pauvre, mais qu'est-ce qu'on vous fait ingurgiter là-bas ?

- Je préfère attendre que vous ayez terminé de manger pour vous en parler. Il ne s'agirait pas de vous faire recracher votre repas devant le président !

Au moment du dessert, les serviteurs entament une nouvelle valse de plateaux et d'assiettes.


Lorsque Viggo et moi entrâmes dans nos appartements, nous tombâmes sur un jeune homme, que je reconnus comme étant celui qui avait retiré le manteau du président. Si des mèches rebelles s'échappaient de ma queue de cheval, ses cheveux étaient toujours parfaitement plaqués sur son crâne, brillants et lisses. Son costume toujours impeccable semblait sortir d'une machine à laver et seuls ses yeux pétillants me prouvèrent qu'il ne s'agissait pas d'un mannequin de plastique.

- Salut ! commença-t-il. Je m'appelle Abel Northfield et je suis censé m'occuper de vous.

Il s'installa dans un fauteuil et désigna le canapé, nous encourageant à faire de même. Il se rapprocha au maximum de la table qui nous séparait de lui et murmura :

- Si le président se montre méfiant, c'est que vous êtes loin d'être les premiers à défier le système des Factions. 

Je sursautai, incrédule.

D'autres avaient fait de même.

Nous n'étions pas les seuls.

-  Chaque année, ou presque, un jeune confie son bouquet à Maximilien. Il a peur. Il pense que vous voulez lever une armée et renverser le pouvoir.

- Qui ça, "vous" ? demande Viggo.

- Tous ceux qui ont fait comme vous. On les appelle les Indécis.

- C'est drôle, dis-je, je n'ai absolument aucun souvenir de ça. Je n'en ai jamais entendu parler.

- Je pensais que tu serais plus maligne, déclara Abel, déçu. Ne m'avait-on pas dit que tu venais d'une famille de Télépathes ?

- Non ! Ils n'auraient pas fait ça ! m'insurgeai-je.

Le garde hoche la tête.

- Je n'y suis pas. Que s'est-il passé ? demande Viggo.

- Les Télépathes sont entrés dans l'âme de tous les citoyens, à la demande de Maximilien, et ont effacé les données se rapprochant de près ou de loin de ces Indécis. Ainsi, personne à part les leaders de faction, les membres du Palais et les jeunes concernés ne se rappelait de ces événements, expliqua Abel, d'un ton aussi désinvolte que si il racontait comment faire sauter des pommes de terre.

- Quoi ? s'exclame Viggo. Des Télépathes se sont introduits dans nos têtes ?! Et ils ont modifié des choses ? C'est pour ça, alors, que je suis allé embrasser une fille que je ne connaissais pas... Ils ont changé mes souvenirs pour me faire croire que c'était ma petite amie !

- Non ! criai-je. Les Télépathes sont intelligents, quand ils entrent dans des pensées, ils prennent des précautions. Ils n'auraient pas modifié le reste ! Tu étais simplement fou. Ça a dû te faire une sacrée décharge électrique !

- Tu n'imagines même pas, soupire-t-il. Mais c'était tout de même moins douloureux que la claque qu'elle m'a mise après...

Je ris, avant de me rappeler quelque chose.

- Tu viens d'utiliser le terme "petite amie" ? Et ça ne t'a rien fait ?

- On peut dire tout ce que l'on veut dans l'enceinte du palais, m'informe Abel.

Je hoche la tête. Cependant, une question me brûle les lèvres depuis longtemps. Je me décide enfin à la poser :

- Et... tous ces Indécis... Où sont-ils ?

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