Chapitre 1

97 9 13
                                    

Je claque la porte derrière moi. La journée fut éprouvante. Une flaque se forme à mes pieds. Un orage se prépare. Aujourd'hui, les Régulateurs sont déchaînés. Je soupire.

- Olympe ? C'est toi ? demande mon père depuis la cuisine.

-Oui, Papa.

Je défais les lacets de mes chaussures, de simples bottines grises, et je dépose mon manteau sur un radiateur. Hugo, mon petit frère, arrive en courant pour me serrer dans ses bras. Une douleur fulgurante m'envahit soudainement, comme toujours. Étant trop jeune pour cela, mon frère n'a pas encore lu et approuvé le Règlement. Un enfant de son âge est encore autorisé à manifester de telles marques d'affection, mais si j'envisageais de faire de même, je serais vite envoyée en prison. Le gouvernement est au courant de tout. Le moindre de nos gestes est répertorié dans leurs archives. Dès que quelqu'un franchit la limite, ils envoient une décharge électrique à la personne concernée dans l'espoir qu'elle se ravise. Hugo est trop petit pour la ressentir mais le Jour de la Répartition arrive à grand pas. Ce jour-là, les nourrissons seront donnés à des familles, les enfants de six ans (comme Hugo) entreront dans la première partie de leur formation, ceux de neuf ans dans la deuxième, ceux de douze ans dans la troisième, ceux de quinze ans recevront une formation d'orientation pour savoir comment lire en eux leurs facultés. Enfin, ceux de dix-huit ans choisiront à quelle faction ils appartiendront pour le reste de leur vie, suivant les facultés exploitées les années précédentes. Oui, notre société est divisée en factions, depuis environ cent cinquante ans, lorsque les facultés sont apparues. Il y eut une grande guerre pour savoir qui l'emporterait, et puis finalement chacune a eu ce qu'elle voulait. Ma ville se trouve pile au centre du pays. C'est là que toutes les factions se réunissent. C'est là que le Jour de la Répartition a lieu. C'est là que siège le gouvernement. C'est le Centre.
Une fois répartis, les citoyens s'en vint, et reviennent quelques semaines avant la cérémonie chaque année. Mes deux parents sont Télépathes. Depuis ma plus petite enfance, ils l'enseignent ce don, dans l'espoir de voir un jour leur fille adorée rejoindre leurs rangs. Mais j'ai beau m'entraîner, jamais je n'ai réussi à lire ou encore moins contrôler les pensées des gens. La situation était déjà inquiétante ; habituellement, les enfants héritent de la Faculté de leurs parents, ou dans le pire des cas, celle de la femme qui les a portés pendant neuf mois avant qu'ils ne naissent (car oui, il y a des mères porteuses pour éviter au maximum les contacts). Mais elle est devenue littéralement effrayante lorsque j'ai découvert que je ne correspondais à aucune des cinq Factions au cours des trois dernières années. Pour le moment, j'essaie du mieux que je peux de ressembler aux Télépathes, comme me l'ont conseillé mes parents, mais je ne pourrai mentir beaucoup plus longtemps. Lors de la Répartition, je devrai prendre une décision qui aura un impact sur le reste de ma vie. Aucun retour en arrière ne sera possible et je devrai assumer mes choix, si dangereux fussent-ils. Mais je ne suis pas prête. Pas encore. Contrairement à d'autres, je ne sais rien de mon avenir. Je n'ai jamais rien envisagé pour le futur. Me concentrer sur le présent était déjà une chose complexe, à cause de ma différence, notamment. Ma meilleure amie Eunice, elle, a déjà tout planifié. Elle lit et contrôle les pensées mieux que personnes. Elle arrive même, quelquefois, à en supprimer. Son père est le leader des Télépathes. Chaque faction est dirigée par une personne, sauf celle des Voyageurs dans le Temps, car il est déjà arrivé que quelqu'un reste coincé dans le passé. Il y a donc besoin de plusieurs chefs, au cas où un Incident Fusio-Temporel d'indice 5 arriverait à nouveau.

Eunice est parfaite. Elle est adorable avec tout le monde, a une intelligence hors du commun, une beauté de déesse... Je l'ai appelée "ma meilleure amie" mais je pourrais aller en prison si quelqu'un découvrait que j'utilise ces termes dans mes pensées. En plus, manque de chance, mon entourage est constitué de Télépathes. Tout de même, faute de lire dans les pensées, j'ai réussi à développer une sorte de protection, à masquer certaines parties de mon esprit.

Tout cela pour dire que je ne suis pas censée utiliser des termes comme "ami" ou "papa", remplacé par des termes plus froids et distants, "fréquentation" ou "père". Heureusement, mes parents ne tiennent pas compte de mes nombreuses entorses à la loi verbale lorsque nous sommes dans la Zone Familiale. De plus, aucune caméra n'est installée à l'intérieur de notre maison. Seulement dans les rues et les lieux publics.

Mais je sais qu'un jour quelqu'un découvrira mon secret

Quelqu'un découvrira que je n'ai aucune Faculté.

Quelqu'un découvrira que j'éprouve des sentiments.

La différenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant