La différente

Chapitre 7

La soirée d'hier est passée à toute vitesse. Je m'habille et déjeune, puis on me fait passer dans une machine, servant à désactiver le champ de protection de contact, m'explique le Président.

Ensuite, je m'engouffre dans la voiture qui nous attend devant le palais, après que Lykka m'ait fait promettre de venir lui rendre visite.

C'est Abel qui conduit le véhicule. Contrairement aux habituelles limousines aux vitres teintées, nous bénéficions d'une minuscule voiture blanche, jaunie par le temps et cabossée par endroits. "Pour passer inaperçus", dit mon chauffeur. Je m'apprêtais à demander combien de temps le trajet vers les Indécis durerait lorsque nous plongeâmes dans le noir. Seules des traînées lumineuses semblables à des étoiles filantes troublaient l'obscurité qui s'était installée. Après avoir contemplé ce spectacle étincelant, je tournai la tête vers Viggo. Son air interrogateur me confirma qu'il ne m'en apprendrait pas plus. Quelques secondes (qui me parurent être une éternité) plus tard, nous émergeâmes de ce tunnel obscur et scintillant. Ce qui peut vous paraître tout à fait oxymorique fut la réalité pour moi durant ce laps de temps. Je demandai une quinzaine de fois à Abel des explications. Il ne répondit pas. Son obstination à garder le silence m'agaça, et, après avoir prononcé pour la vingt-sixième fois les mots "Abel ? C'était quoi ?", je décidai de me détacher, m'installer sur le siège passager et de retirer la clef du contact. Le véhicule cala, stoppa net, et mon conducteur se tourna vers moi, un mélange d'exaspération et d'amusement dans les yeux. Je pinçai les lèvres, chose stupide et inutile puisque j'ouvris la bouche quelques secondes plus tard pour poser une vingt-septième fois la même question à mon conducteur, qui me répondit enfin.

- Je suis un Voyageur du Temps. Pour vous épargner un trajet long à travers un paysage pas franchement intéressant, je nous ai projetés immédiatement dans le futur, à l'heure que j'ai supposée être celle de notre arrivée.

Je suis épatée.

Nous arrivâmes dans une ville très sombre, où les gens marchaient rapidement, la tête basse. Je remarquai immédiatement l'absence de femmes. J'interrogeai Abel, qui prit un air grave et répondit :

- Ma jolie, ça ne va pas te plaire. Tu as toujours vécu au Centre, où, dans la vie commune, la parité est respectée. Mais au-delà du territoire du Palais Royal, les femmes sont inférieures. Depuis toujours. Tu as bien vu la façon dont Maximilien résonne...

Scandalisée et choquée par cette réalité, je restai coite. J'avais toujours imaginé que le monde entier vivait de la même façon que nous.

- Mais alors...

Je posai ma main sur l'épaule de Mr Northfield, sans ressentir aucune douleur.

- Tout à fait. Les contacts sont autorisés.

Nous roulâmes quelques minutes et nous engageâmes dans une ruelle sombre, transformée en impasse depuis qu'une maison semblait s'être écroulée à une centaine de mètres. LA ville était obscure, mais cette rue... Cette rue était plus sombre et plus déprimante que le reste. Il n'y avait aucune trace de vie. Je réprimai une grimace et sortis de l'habitacle. Il faisait froid.

Alors que je me dirigeais vers la porte la plus proche, Abel me tira le bras et m'indiqua de la tête un tout petit escalier creusé à même le sol de la rue. Cinq ou six mètres qui menaient à une autre porte, basse et petite. Je descendis. Abel ouvrit et pénétra dans un petit hall où une vingtaine de paires de chaussures étaient alignées. Toutes tailles et toutes formes. Des portraits de jeunes filles et de jeunes garçons ornaient les murs. En-dessous de chaque, un nom et une date. Tout au bout de cette chaîne, deux étaient vides. On y lisait seulement nos noms, à Viggo et moi. Je compris alors que les dates correspondaient à l'année d'arrivée de chaque Indécis. Une porte s'ouvrit de l'autre côté de la pièce. En sortirent une odeur délicieuse de repas et une femme souriante, qui s'exclama :

- Deux ! On en a deux cette année ! Bienvenue à la maison, mes chéris !