Chapitre 6

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- C'est l'objet même de ma venue, acquiesce M. Northfield. Ils sont à un endroit où nul ne peut les trouver. Loin. On vous y conduira sous peu. Une fois que vous y serez, nous pourrons demander aux Télépathes d'effacer les mémoires.

- Ça... ça signifie que nos parents ne se rappelleront plus de nous ? balbutie Viggo.

- Les tiens, non. Mais Olympe, elle, a plus de chance. Ses parents étant Télépathes, ils pourront faire le choix de garder leurs souvenirs à condition de se taire.

- Et Hugo ? Mon petit frère?

- Malheureusement, on ne peut pas compter sur le silence d'un être si jeune. Il ne sera pas épargné. Ses souvenirs de toi seront effacés.

Tous mes muscles me lâchent. Je m'affale dans un fauteuil et pleure toutes les larmes de mon corps. Hugo, mon petit Hugo, ne se souviendra pas que j'ai existé. Tous nos après-midis ensemble, effacés.

★★★

Aujourd'hui, c'est le jour des visites. La dernière fois que je verrai mes parents et mon frère. J'essaie de sourire, mais ma tristesse l'emportera tôt ou tard, et je fondrai en larmes au milieu du Palais. Viggo, quant à lui, semble anxieux. Je ne pense pas que la relation qu'il entretient avec ses parents soit très chaleureuse. J'ai de la peine pour lui. En même temps, il lui sera peut-être moins compliqué de les quitter à jamais.

Nous sortons de la chambre, courons dans les couloirs et dévalons des volées de marches si vite que je manque plusieurs fois de me prendre les pieds dans la longue robe imposée par Maximilien. Arrivés en bas de l'escalier central, nous tombons nez à nez avec nos familles respectives et Abel, qui nous laisse peu après. Je prends ma mère par la main, vérifie que mon père et Hugo nous suivent, et je monte quatre à quatre les marches. Je les emmène dans les longs corridors, et nous arrivons dans mes appartements. Mais nous reprenons bien vite la direction des jardins, à la demande de mon frère, qui les a aperçus depuis le balcon.

Je suis tellement heureuse d'être avec ma famille que je ne vois pas le temps passer. Au bout de ce qui m'a paru être dix minutes, c'est un Abel rouge et essoufflé qui nous rejoint près des fontaines :

- Ah ! Vous voilà. Madame et Messieurs Gardner, il va falloir que vous vous en alliez. Le repas sera bientôt servi et il faut que vous soyez partis.

Il nous raccompagne dans le grand hall. Ma mère me prend dans ses bras et j'essuie une larme sur la joue de mon père. Hugo a la tête baissée, comme à un enterrement. En réalité, il s'agit d'un enterrement. Celui de notre vie commune, de notre famille au complet. Car dès demain, la mémoire de mon frère sera effacée et mes parents n'auront même pas le droit de penser à moi. Mais une petite voix au fond de moi me murmure que j'ai fait le bon choix. Après de multiples étreintes et baisers, ma famille s'éloigne de moi, et avec elle, mon passé. Lorsque les trois personnes que j'aime le plus au monde franchissent la porte du Palais, je fonds en larmes. Lykka, qui passait par là, m'attira dans ses bars et me berça doucement :

- Tout va bien, Olympe. Plus les choses que tu laisses derrière toi sont belles, plus celles qui t'attendent le seront aussi. C'est ce que ma mère me disait quand j'étais petite. Et regarde ce que je suis devenue ! Je suis à la tête d'une faction, je ne manque de rien et la plupart des gens m'apprécient. Aie confiance, ma petite.

Elle m'attira vers l'extérieur, où la table avait été mise, mais je n'avais pas faim. La plaie béante qui venait de s'ouvrir au fond de moi prenait trop de place pour que mon estomac puisse encore s'exprimer. Lykka le comprend et promet de passer me voir très bientôt dans ma chambre.

Lorsque je rentre dans nos appartements, Viggo est en train de plier des vêtements et de les ranger dans sa valise. Quand je lui demande pourquoi, il m'indique le bureau d'un signe de tête. Je m'avance, et découvre une feuille de papier frappée aux armoiries de la famille de Maximilien.

"À l'attention d'Olympe G. et de Viggo E.

Faites vos valises. Vous serez conduits demain chez les autres Indécis."

Ignorant royalement les mots que je venais de lire, je me jette sur mon lit. Je prends la photo encadrée de ma famille. Tous les quatre, nous sourions sur le canapé du salon. Nos yeux pétillent. Sur l'image, rien ne semble pouvoir arrêter notre amour. Rien ne semble pouvoir nous séparer. Et pourtant.

À cet instant, une pensée traverse mon esprit.

"Regarde sous ton lit"

C'est ma mère. Je reconnais ses pensées. Son ton est doux mais ferme. Je me penche alors et découvre un petit colis frappé du tampon "Autorisé".  Je l'ouvre délicatement. Dedans, un tee-shirt de chaque membre de la famille, imprégné de l'odeur du propriétaire. De toites mes forces, les poings serrés, je pense :

"Merci. Je vous aime"

même si je sais qu'elle ne recevra probablement pas ma pensée. Je suis tout de même réconfortée. Sur ce, j'imite Viggo et commence à remplir ma valise.

Lykka arrive environ une heure après. Très maternelle, elle me caresse la joue et me parle doucement. Une fois ma valise bouclée, nous descendons toutes les deux et nous installons sur l'herbe verte des jardins. Nous nous racontons nos vies, nous lisons, nous rions.

Puis je rentre dans le Palais et en même temps dans la routine qu'il m'impose. Même si ça n'est pas un foyer, je m'imprègne de tous les souvenirs de ce lieu, je garde en mémoire tout ce qui peut me rappeler ma "première vie", celle qui s'achèvera demain matin lorsque la voiture qui nous conduira vers les autres Indécis démarrera.

La différenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant