De l'autre côté de l'écran

16- Lisa

— Tu me dégoutes.

Je n'arrive pas à me sortir ces mots de la tête.

J'avance dans la rue, les yeux dans le vide, l'esprit focalisé sur cette phrase qui se répète en boucle, mes pieds avancent d'eux même, les talons de mes chaussures claquent sur le trottoir. Je n'en reviens pas du mal que je peux faire, du malheur que je peux créer, de la douleur que je suis capable d'infliger.

« Tu me dégoutes ».

Je l'ai tellement mérité cette phrase, de me la prendre en pleine gueule.

J'ai essayé de me convaincre que j'avais une bonne raison de changer ce numéro. La raison c'était mon mec, mon mec dont je n'ai plus rien à faire et pourtant, je l'ai fait. J'ai détruit quelqu'un, quelqu'un de bien, juste comme ça, parce que je suis une putain de raclure de fond de chiotte.

Je m'étais donnée de bonnes excuses « c'est pour lui apprendre la vie », « elle réussit toujours tout »... Ouais tu parles. Cassidy en est loin de la fille superficielle avec une petite vie parfaite comme je me l'imaginais. J'étais tellement à des années lumières de penser qu'elle souffrait autant. Elle a mal, tous les jours, depuis deux ans, elle vit un calvaire qui la bouffe de l'intérieur et moi je viens de l'achever.

Pire encore, je lui ai donné de l'espoir. Elle a cru, l'espace de ces courtes semaines, que le monde pouvait être autrement que pourri jusqu'à la moelle. Elle a pensé, à tord, que quelqu'un sur terre pouvait l'aider, panser ses blessures, lui offrir un moment de répit dans sa lutte constante pour rester en surface. Et moi, je l'ai fini à coup de pompes.

Je mérite ce qui m'arrive. Je mérite de sentir mon coeur se déchirer, morceau par morceau, s'éparpiller au quatre coins de mon âme, d'être bruler à l'acide, et rester là, sans disparaitre, juste à avoir mal. Je mérite de souffrir. Mais elle... Elle, elle ne le méritait pas.

Je me dégoute.

J'entend crier mon nom. Je me retourne, c'est Leah. J'ai marché trop loin, j'ai raté la maison. Elle me rattrape. Elle me demande si je lui ai parlé. Je confirme d'un mouvement de tête. Elle doit comprendre à ma mine ce qu'il s'est passé. Elle attrape mon bras et me ramène à la maison. Mes yeux restent dans le vide. Je n'ai même pas la force de regarder où je vais. Je mériterai de crever pour ce que j'ai fait. Je me déteste.

Leah m'enlève mon manteau, m'aide à enlever mes chaussures. Je monte les escaliers, ma soeur m'aide une fois encore à avancer, parce que là, j'en suis incapable. Elle m'assoit sur le lit. Je m'y allonge.

Ne pas pleurer, ne pas pleurer, ne pas pleurer. Tout ça c'est de ma faute, je n'ai pas le droit de pleurer, ni même de me plaindre.

Leah s'allonge derrière moi et me sert fort contre elle. Sans que je ne demande rien, elle commence à chanter, doucement, en caressant mes cheveux.

Les larmes roulent sur mes joues sans que je ne puisse les retenir.

Qu'est-ce que j'ai fait?