6 : Rencontre

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Il avait réussi à installer une gêne lancinante entre nous. Je ne réussissais plus à la tenir, je voulais t'interroger. Aussitôt dit, aussitôt fait.

- Pourquoi est-ce que tu n'as rien dit ?

L'homme antipathique n'était pas encore de retour. Son siège restait aussi vide que le blanc qu'avait eu Miloslav lors de la conversation. Tout confus et désolé, il me répondit :

- Je n'en sais, mon attitude m'est honteuse.

Au fond, je comprenais ce qu'il avait pu ressentir car même si ses propos étaient insultants, force était de constater que cet homme avait une part, même infime, de vérité dans ses dires. C'est du moins la très désagréable impression que je continue de traîner derrière moi. Car pour tout t'avouer, je n'ai jamais pu oublié cette conversation. La preuve.

- Ne t'inquiètes pas, je ne pense pas du tout comme lui. Tu es noire, je suis blanc, nos deux peuples ont des histoires ponctuées de tout depuis des siècles, mais en rien cela devrait empêcher notre amour.
J'espère que tu me comprends et que tu ne tiendras pas rigueur de ce qu'il s'est passé... J'ai été assez secoué, je n'ai rien dit ; pardonne-moi.

- Allez ça va, tentai-je avec le sourire, c'est du passé. Hein ?

Il hocha la tête en me souriant en retour.
Même si nous sommes tout de même restés, pendant quelques minutes, dans notre mutisme. Et nous n'étions pas suffisamment convaincus.

~*~

Dès que nous avons passé la porte de l'aéroport, j'ai grandement inspiré avant d'observer circulairement les horizons ; combien de temps que je n'étais pas revenue ? Cinq, six ans ? Sûrement pas huit car, même pendant notre relation, j'avais eu à remettre ici mes pieds. Pas pendant longtemps ; une seule semaine ! Mon pays m'avait admirablement manqué et j'éprouvais une joie incomparable à l'instant.
Toi par contre, le long de notre chemin pour gagner les transports en commun, tu te mettais à parler de l'humidité et de la chaleur. J'étais amusée de ta réaction... mais à un point !

Puis, nous avons rencontré mon petit frère. Je me souviens avoir couru vers lui comme si nous ne nous étions pas vus depuis une éternité. Une scène tout à fait mignonne si j'en crois ton attendrissement.

Nous nous sommes faits un câlin grand et plein d'émotion.

— Eh... oh, petite folle ! A cause de toi, je vais oublier ton chéri que je dois saluer.

Enfin, l'on pensait à toi. Le petit susceptible !
Mon frère te tendit la main.

- Bonjour monsieur... Miloslav, c'est cela ?

- Oui. Mais tu peux tout simplement m'appeler par mon nom, il n'y a aucun souci.


Je me souviens de ton état de stress accru à l'idée de rencontrer mes parents une seconde fois. Cela m'était incompréhensible ; le pire était passé, alors que restait-il d'effrayant ? Tu me répondais de manière perdue.

— Hummm... je ne sais pas, moi, mais c'est différent. Là, je viens dans la maison où tu as grandi, je viens pour longtemps, je viens pour me marier, je viens...

Tu n'avais pas achevé ta phrase que j'avais sonné à la porte, ce qui eut l'effet de te couper la parole que tu ne repris pas immédiatement.

— Ça ira, ais-je murmurré.

Et la porte s'est ouverte. Ma tante s'est jetée dans mes bras.

— Eh, Affoué chérie, mon bébé, ma petite blanche ! Eeeeeeeeeeh, elle est arrivée ! Atouuuuur !

Tu étais un peu sonné rien qu'à l'idée de toi aussi y passer. Parce qu'évidemment, tantie Odile voudrait elle aussi te serrer dans ses bras. Ensuite, tu aurais la chance de voir sa grande brèche dentaire de très près, de recevoir trois bises de sa part et avec tout l'amour du monde.

Les retrouvailles ont été toutes aussi animées, rythmées. Des cris, des larmes de joie, des rires et de la nourriture à volonté. Tu m'as confié avoir assez mal avec cette ambiance festive très bruyante. "Je n'y suis pas habitué" disais-tu, et je ne pouvais que te comprendre ; c'était aussi cela, le choc des cultures.

Mes sœurs m'harcelaient de questions et me disaient des phrases qui me mettaient dans tous mes états d'hilarité.

Vous vous êtes connus comment ?
Combien de temps ?
Han, il est beau hein... Comme un acteur de cinéma !
Chic Blôfouê* !

Car en plus, ce n'était pas très commun de ramener un homme blanc pour se lier avec lui d'amour et d'eau douce et rose toute sa vie.


Blofouê* : Ce mot signifie "Blanc" ( homme blanc ) dans une ethnie ivoirienne.



Cœurs InterraciauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant