Il ouvre la porte. C'est son regard qui se pose en premier sur mon visage puis se sont ses lèvres. Je lui rends cette folle caresse tout en lui offrant un sourire timide, gêné et passionné. Mon corps s'emplit de variantes émotionnelles qui, j'espère, atteindront leur paroxysme dans les années à venir. La chaise dans l'entrée se réserve à être mon dépôt vestimentaire ; ma chaude veste retirée et ma besace déposée voilà que mon corps peut enfin s'étendre sur son doux sofa. Il m'observe et s'éloigne dans la cuisine, ma bouche pâteuse lui crie ma soif. Il pose un petit verre d'eau sur la table basse et s'assoit à mes côtés. Il est là, proche de moi et tellement loin, pour lui toucher la main il faudrait que je bouge la mienne. L'amour m'interroge sur ma vie, m'assomme de questions de tous genres. Ma vie, mon art, mes talents, mes échecs, mes réussites, ma famille, mes partenaires, mes cris, mes peines et ma folie passent sous le joug de mon tyran ; je le hais de m'apaiser au point d'être à même d'aborder mon intimité. Que vais-je lui révéler de plus ? Que je deviens sa prêtresse ? Que je veux que sa main enlace la mienne et que toutes ces secondes soient éternité ? Oui je le veux. Mais lui dire le ferai fuir, il serait alors en force de percevoir que je suis inconsciente, folle et que j'ai eu l'insanité de m'éprendre de sa saveur. Il devient peu à peu mon philtre, je suis Iseult et je veux mourir de mon Tristan. J'ai face à moi Eros, et sa flèche ne m'a pas encore transpercée mais je veux ouvrir cette porte et le laisser entrer. Je ne peux lui dire que je suis démente de ses attraits, je veux crier que je suis folle d'ivresse de ce breuvage.
Ma vie cesse d'être controversée et je prends son rôle d'observateur, je le convoite et la jalousie l'interroge à ma place ; qui sont ses typesses qui ont hantées ses nuits ? Il s'étonne, je décèle un soupçon de mon émulation, il me répond. Elles semblent loin, effacées, perdues et peut-être oubliées. Il se peut qu'elles ne le soient, mais je me convaincs du contraire car il se doit de m'appartenir comme je lui appartiens. J'ôterai sa liberté comme il prendra mon plaisir. Il se tut. Nul ne parle, toutefois je suis abasourdie par tant de bruit, c'est le temps qui s'adresse à mon corps, combien de temps vais-je survivre encore sans sa chaleur charnelle sur mon être qui se réduit peu à peu en poussière ? Les voix de nos corps s'appellent, je les sens et je veux le sentir, j'imagine ces voix criant de se retrouver folles d'amour, je m'aspire à regorger de lui, à ce qu'il m'emplisse lorsqu'il se résoudra à se retirer.
Ces phantasmes s'estompent quand une tendre caresse se disperse vers mon appui. Je n'ai durant ces jours que songé à bouger ma main pour prendre la sienne et c'est elle qui est venue à moi. Il plébiscite mon approbation pour me conquérir, il accède à son plein pouvoir de philanthrope et je deviens le territoire qu'il peuple. Les tissus de nos lèvres s'épousent, formant un pont réservé à la concupiscence.
Je me courbe sous son corps. Il m'embrasse et toutes les voix s'éteignent pour laisser place aux plaintes lascives, il y a ces vociférations mais aussi ces chants de dévotion qui appellent à l'hymen. Cette éternelle luxure ne dure que trop peu. Je veux que cette tendresse soit l'analogue de pérennité. Je suis enlacée, il me protège, me rassure et m'épouse.
Nous sortons de ce cocon, je bois cette eau posée sur la table qui m'attend, je craints de finir le verre et concevoir ce vide comme un au revoir. Au saut de ce rêve éveillé je me répare quant à mon démiurge il réajuste son bas.
Que dois-je faire maintenant ? Le quitter ? Impossible. Rester ? Illusoire. Corneille s'en retourne dans son sépulcre en regard de ce choix irréalisable. Je me promets d'apprécier ces heures passées et lui promets de ne pas m'amarrer d'adoration. Il est encore temps de lui dire que je ne veux de cette promesse et que je veux l'aimer sans illusion mais lui révéler serait le sceau de l'abandon. Je me résigne à lui cacher cette triste vérité qu'est mon amour. Je me lève, dévêts l'assise de l'entrée. Nous nous sourions. Lorsque je me retourne il me dit à bientôt, mon cœur se déchire pour lui en laisser
une partie, je ne veux qu'il m'oublie. Je suis au paroxysme de mes émotions. Je sens déjà son visage s'éloigner pour me laisser seule. Je le regarde. Il referme la porte.