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C'est ainsi que je suis venu en Espagne, où je vis depuis trente ans.

Lorsque j'y arrivai, j'allai au collège, puis à l'université où j'étudiais le droit. Cette idée m'avait fortement déplu. Je voulais être un Pro-Héros, mais le cousin de mon père ne supportait pas que l'on déraisonnât. " Un héros, un héros, avait-il dit, combien un Héros gagne-t-il ? D'abord tu étudieras le droit. Ensuite, tu pourras sauver le monde quand tu voudras en temps perdu. "

J'étudiai donc le droit et devins avocat à vingt-cinq ans. En temps qu'avocat, je m'en suis pas trop mal tiré. En apparence, ils auraient raison : J'ai un appartement donnant sur tout Barcelone, des voitures, une maison de campagne, et ainsi de suite. Mais je n'ai jamais réalisé ce que je voulais vraiment : Devenir un Pro-Héros. Au début, je manquais de courage et maintenant que je l'ai, il me manque le temps. De sorte que, dans mon for intérieur, je me considère comme un raté. Non que cela m'importe vraiment, nous sommes tous, sans exception, des ratés. Je ne sais où j'ai lu que " la mort sape notre confiance dans la vie en nous montrant qu'en fin de compte tout est également futile devant les ténèbres finales ". Oui, " futile " est le mot approprié. Je ne dois pourtant pas me plaindre ; j'ai plus d'amis que d'ennemis et il y a des moments où je suis heureux de vivre : quand je regarde le soleil se coucher et la lune se lever, ou lorsque je vois la neige au sommets des montagnes. Et il y a d'autres compensations, quand je suis à même d'exercer l'influence que je puis avoir pour une cause que je crois bonne : l'égalité raciale ou l'abolition de la peine capitale, par exemple. J'ai été satisfait de ma réussite financière parce qu'elle ma permis d'envoyé de l'argent au Japon.

Mes parents sont morts, mon père avait bien vu que le Japon ne serait plus le même qu'auparavant, alors, pendant que ma mère dormait, ouvrit le gaz et c'est ainsi qu'ils moururent. Depuis leur mort, j'ai, autant que possible, évité de rencontrer des Japonais et j'ai même pas ouvert un livre japonais. J'ai essayé d'oublier.

Bien entendu, quelques Japonais ont inévitablement croisé mon chemin, mais c'est là que une sorte de façade protectrice que j'adopte presque inconsciemment quand il me faut converser avec un Japonais. Naturellement, je parle encore parfaitement bien la langue, en faisant la part de mon accent espagnol, mais je déteste l'employer. Mes blessures ne sont pas cicatrisées, et chaque fois que le Japon se rappelle à moi, c'est comme si on les frottait de sel.

Un jour, je rencontrai un homme de Kansai, et lui demanda ce qui s'était passé à Kyoto.

- Les trois quart de la ville ont été détruits, dit-il

_ Qu'est-il advenu de l'Yuei ?

- Des décombres.

- Et du palais Bakugo ?

- Des décombres.

Je me mis à rire sans fin.

- Qu'est-ce qui vous fait rire ? demanda-t-il, étonné.

- Oh, peu importe, dis-je

- Mais il n'y a rien de drôle là dedans, dit-il. Je ne vois pas où est le comique de l'histoire.

- Peu importe, répétai-je. Il n'y a rien de comique dans l'histoire. Qu'aurais-je pu dire d'autre ? Comment aurais-je pu expliquer pourquoi je riais quand je ne pouvais le comprendre moi-même ?


Une amitié impossibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant