En proie à une profonde détresse, je jetai à peine un regard autour de moi, perdue dans mes pensées. Je marchai aux côtés du souverain d'Espagne, plongée comme depuis notre départ dans le plus absolu des silences.
Il me serait impossible d'oublier que cet homme dont les traits étaient les mêmes que ceux de mon véritable père ait pu, un jour, lever la main sur moi.
— Ha pasado mucho tiempo desde que escuché tu voz. ¿Estarías sufriendo de nuevo? me demanda-t-il. (Il y a fort longtemps que je n'ai entendu votre voix. Seriez-vous à nouveau souffrante ?)
Je me mordillai la lèvre inférieure avec la furieuse envie de coller mon poing dans la figure de cet homme qui me contraignait à épouser un homme contre ma volonté et qui en plus de cela, espérait que je sois enchantée par une telle union.
Que s'imaginait-il celui-là ? Que je me serais mise à baiser le sol qu'il foulait uniquement parce qu'il donnait ma main au roi de France ? Qu'espérait-il ? Que je lui en serais reconnaissante ?
— Maria, m'interpella-t-il.
— Estoy perfectamente bien, Su Majestad, dis-je un peu plus sèchement que je ne l'aurai voulu. (Je vais parfaitement bien, Votre Majesté.)
Il s'arrêta au pied de l'escalier qui menait au pavillon qui avait été principalement construit pour le traité de paix entre la France et l'Espagne et qui allait être consolidé par un mariage. Il se tourna vers moi et nos regards se croisèrent.
— Ciertamente no te di el pecho cuando aún eras una niña, pero te conozco, Maria, me dit-il. (Je ne vous ai, certes, pas donné le sein lorsque vous n'étiez encore qu'une enfant mais je vous connais, Maria.)
Le monarque posa sa main sur ma joue et malgré moi, je me retirai de son contact, légèrement tremblotante et je pus lire dans ses yeux une profonde tristesse ainsi qu'une immense culpabilité.
— ¿Me perdonarás algún día, hija mía? me demanda-t-il d'une voix chagrinée et emplie de remords. (Me pardonnerez-vous un jour, mon enfant ?)
Je pris sa main et la portai jusqu'à ma joue, la posant délicatement contre ma peau. Je ne devrais certainement pas pardonner un tel acte de violence mais bien qu'il ne soit pas véritablement mon père, il était l'unique figure paternelle que je pourrais espérer trouver en cette époque et dans peu de temps, nous serons séparés à tout jamais.
Je fermai les yeux et appréciai cette douceur ainsi que ce réconfort. Je n'aurai certainement pas d'autres moments affectifs comme celui-ci alors autant en profiter jusqu'à la dernière seconde.
Je tressautai légèrement quand je sentis un front dur et épais se coller contre le mien et rouvris mes paupières pour rencontrer le regard de ce monarque espagnol qui parut bien plus humain et accessible que les précédents mois passés à le côtoyer.
— Nunca supe cómo decírtelo, y mucho menos mostrarlo, pero eras querido y eras amado. Sinceramente y profundamente, murmura-t-il d'une voix rauque. (Je n'ai jamais su vous le dire et encore moins le montrer mais vous avez été chérie et vous avez été aimée. Sincèrement et profondément.)
Ses paroles me touchèrent car je décelai en ce souverain une part du caractère de mon père. Tout comme Philippe IV, mon père n'avait jamais été démonstratif dans ses affections mais je savais qu'il m'aimait malgré cela et qu'il aurait été prêt à déplacer des montagnes pour moi alors qu'une sorte de copie ou de jumeau de lui me le verbalisait ne pouvait que m'émouvoir surtout à une époque où l'affection paternelle se limitait à des étiquettes instituées depuis des siècles et qu'aucun descendant n'était prompt à remettre en cause.
Il posa avec délicatesse ses lèvres sur mon front et je souris légèrement. Il recula d'un pas et je remarquai qu'un sourire en coin semblait avoir adouci les traits durs de son visage.
— ¡Venga! Me gustaría que usted encontrara a una persona que es cara por mí y a la que la presencia careció tanto de mí como un instante además sin ella me parece insostenible. (Venez ! J'aimerais que vous rencontriez une personne qui m'est chère et dont la présence m'a tant manquée qu'un instant de plus sans elle me paraît insoutenable.)
J'acquiesçai et posai ma main sur le bras que me présenta le monarque puis nous nous rendîmes à l'intérieur du pavillon de la Conférence.
La mère de Louis XIV était bien plus belle et plus élégante que sur les différents portraits qui avaient été peints d'elle. Anne d'Autriche dégageait une aura de souveraineté et de confiance qui ne laissait personne indifférent. Elle arborait la stature ainsi que les prunelles vives des Habsbourg. Elle se tenait aux côtés d'un homme âgé d'une cinquantaine d'années au visage doux, à l'œil vif mais obscurci par des secrets qui semblaient peser sur son âme. Il était un bel homme et je supposai que durant ses jeunes années, il dut séduire nombres de femmes. Un peu plus en retrait, un homme tout aussi âgé que le premier, une chevelure noire parsemée de mèches grises, des rides plissaient son front et ses yeux clairs brillaient d'une lueur froide et distante.
Je décrochai mon regard de cet homme et posai mes yeux sur Anne d'Autriche et m'inclinai avec autant de grâce que je pouvais me le permettre devant elle.
— Votre Majesté, fis-je. C'est un immense honneur pour moi d'avoir la chance de faire enfin votre connaissance.
Je remarquai l'éclat de surprise dans son regard et supposai avec raison qu'elle ne se doutait pas que je puisse être capable de m'exprimer correctement en français.
— Appelez-moi, tante, je vous prie. Je ne suis guère votre reine, dit-elle.
— Vous êtes une reine, ma tante, protestai-je.
— Un titre qui te reviendra lorsque tu épouseras officiellement mon fils. Il est venu le temps de céder la couronne à une personne digne de ce rang.
— Je crains que ma tante ne mette trop d'espoir en moi. Je ne suis guère digne d'être seulement considérée comme une reine.
Elle sourit avant de tourner son regard vers mon père.
— Es la también modesta como usted, fit-elle remarquer. (Elle est tout aussi modeste que vous.)
— Puedo asegurarle, mi hermana, que no tiene apenas este rasgo característico de mí sino más bien de su madre y de usted, rétorqua le monarque. (Je puis vous assurer, ma sœur, qu'elle ne tient guère ce trait de caractère de moi mais plutôt de sa mère et de vous.)
— Tan pues, una parte todavía española de mí, pudo sobrevivir a mi salida. (Ainsi donc, une partie encore espagnole de moi, a pu survivre à mon départ.)
— La última parte de usted que perderé, esta vez, para siempre. (La dernière partie de vous que je perdrai, cette fois-ci, à tout jamais.)
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Un brin de ressemblance
Ficción históricaMaria Cardon, chirurgienne et herboriste, peine à se remettre de son récent divorce. Pour tenter d'atténuer sa douleur, elle fait le choix de rentrer en France à Paris mais avant son départ, elle souhaite faire ses adieux à son ex-époux. Alors qu'el...