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CHAPITRE SEPTIÈME — Le bal des monstres

                     On pourrait comparer cela à une chute d'une hauteur incalculable, qui de son choc, sans prévenir, retirerait aux poumons leur air tout en pressant le corps de la pauvre victime, de sorte que celle-ci ne puisse, même en essayant, reprendre son souffle. L'épouvante, c'était l'épouvante qui m'avait clouée là. Muette, aussi bien dans le cœur, que dans la voix. Immobile comme une statue, aussi bien dans les pensées, que dans le monde matériel. Il leva sa main, du bois gratta sur le sol. Des respirations profondes. Ces chiens de garde étaient avec lui. Un à un, ils se tournèrent, pour défiler devant de mes yeux, se paradant comme des paons, qui ignoreraient les meurtres dont ils étaient coupables.

                  Le plus jeune d'entre eux, celui qui t'avait poussée vers la sortie, me fit un sourire. Ce dernier que je lui rendis. Je travaillais dans le faux hypocrite qui fait de l'homme qui il est, puisque tout devait l'être, de mes actions, à mes songes. Une seule interrogation me traversa, que gagnait-il à être courtois, lui qui ne l'avait pas été ? Peut-être aura-t-il une anecdote à raconter à sa jeune amie en rentrant chez lui ce soir ? Peut-être ne se souvenait-il pas des événements de la nuit de ton enlèvement ? Non. Il était simplement con, comme mon père.

                  — Gabrielle ! Quel plaisir de te voir !

                 Mon squelette se raidit, de nouveau tendu par les fils de pantins qui me tenaient à la vie. Vêtu de son uniforme, trop grand pour son corps maigrichon, celui qui, lorsque j'étais enfant, me posait encore sur ses genoux, se leva. J'imaginai qu'il aurait voulu que je l'observasse, que je me rapprochasse de lui, que je le prisse dans ses bras. Comment pouvait-il ignorer que cela n'arrivera pas ?

                  — Réciproquement, j'entamai d'une voix aux semblants naturels, j'ai entendu dire que tu comptais me faire apporter un livre...

                  Débile, encore. Si je n'avais pas été dans cette situation, j'aurais soupiré, articulé toutes les grossièretés qui me passeraient par la tête pour pouvoir exprimer ô tant bien cette justification ne tenait pas la route. Tu me l'aurais fait remarquer, tu m'aurais dit de réfléchir. Pourtant, je ne réfléchissais plus.

                   Un éclair d'étonnement illumina l'expression du monstre, il arqua un sourcil, déformant son visage déjà repoussant, pour lui donner presque, si l'on devait en faire un portrait mélioratif, un air penseur, que je qualifierais, pourtant, de laid. Il se leva, nonchalant, pour parcourir au sein même de son bureau, dont l'infrastructure depuis ma naissance n'avait pas changée, une infime distance avant de se planter devant une armoire en bois, ornée par de petites gravures et surmontée d'un tissu, noir et rouge.

                    — Un livre, cela m'étonnerait. Néanmoins, ses mots se firent plus lents, j'ai quelque chose d'autre qui devrait te plaire plus encore.

                       L'émotion qui plissa sa peau dépigmentée lorsqu'il se retourna, fut un indicateur direct de l'illusion qu'il mettait en place. L'instinct héréditaire du jeu. Une ultime partie entre deux personnes d'un même sang.

                      Ses doigts, osseux, brandirent l'un des vestiges de la conscience de maman. Une robe. Celle qu'elle m'avait laissé porter lors de notre première sortie toutes les deux. Celle que tu aimais tant, la rouge. Tu disais toujours que sa longueur convenait parfaitement à la jeune femme que j'étais, et de même, que sa coupe, cintrée, mettait en avant mes quelques atouts. Pourtant, cette toilette, chargée en souvenir, cachait une autre motivation. Donner n'était pas un mot du vocabulaire de mon paternel.

                   Ce dernier, le vêtement toujours à la main, se redirigea vers son bureau, pour poser le fin tissu dessus, et se rasseoir, exactement au même endroit et dans la même position que lorsqu'auparavant j'étais entrée. Ses yeux s'étaient entièrement décollés de moi pour se rapporter sur un document où trônait, en haut de page, le symbole du dit « gouvernement ».

                 — Mets ça et sois prête dans quelques minutes, nous avons des invités, susurra-t-il.

                 C'était autoritaire, sans pour autant qu'il n'y ait eu une quelconque véritable intonation dans cette phrase dont je cherchais encore le sens.

                  Mes yeux se fermèrent, derrière mes paupières closes, mes pupilles s'agitèrent frénétiquement. Aspirant à comprendre les non-dits de cet homme stratégique. Je pouvais voir le salon, duquel les meubles avaient été soigneusement dégagés du centre pour libérer un espace dans lequel s'engouffraient, depuis la porte d'entrée, des humanoïdes étranges. Des hommes pour la plupart, grand de taille, et vêtu de kaki. J'essayai d'étudier leurs visages, de les reconnaître. Cependant ils n'étaient qu'ombres, qui, par moment, prit d'un coup de folie dévoilaient des yeux rouges, exorbités et des dents, couvertes de sang.

                  Dans le coin gauche de la pièce, un disque commença à tourner, une musique aux rythmes guerriers enivra les créatures. Celles-ci, comme possédées, pivotèrent sur elles-mêmes, à une vitesse qui n'allait qu'en s'accroissant, en suivant les battements de ce lugubre requiem. J'avais en face de moi, des figures qui se prenait dans leurs bras, s'entremêlant et envahissant d'ombre et de rire les quatre murs, dont les peintures commencèrent lentement à s'écouler sur le sol, le marquant de rouge. À une cadence de plus en plus soutenue, leurs pieds se tâchèrent du liquide rougeâtre, dessinant sur le parquet, ce que je reconnus comme la croix, surmontée don son aigle.

             Sueur froide.

             J'étais invitée au bal des monstres.

Gabrielle | Coupable d'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant