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CHAPITRE DEUXIÈME — SE CACHER AUX YEUX DE TOUS

                  Nous avions acheté un appartement en plein centre de Berlin, dissimulé parmi les rues, englouti par des voix d'hommes, fatigués par le levé du matin. Ce n'était pas la belle maison dont nous avions toutes deux rêvé à maintes reprises ; ce n'était pas non plus un logement luxueux, ou bien exposé à la lumière du soleil que j'aimais tant, loin de là. Plus je pensais à son aspect lugubre et humide, plus je ne cessais de le qualifier d'un seul et unique mot : une caverne. Faite de quatre murs carrés, qui, jour après jour perdaient leurs couleurs, s'effritant lentement au contact de l'eau, laquelle, en ces temps pluvieux, se faufilait à travers le toit, formant au sol des flaques de différentes envergures. Cette grotte, notre lieu de repli, était une cachette où ils ne pouvaient nous trouver. La porte, toujours verrouillée, empêchait les démons de s'y engouffrer et de mêler à notre air la puanteur de la mort, dont le souffle, déjà, courrait les ruelles.

                  Les bras de la faucheuse voulaient te contrôler, mon amour. Il n'y avait en eux qu'un désir, motivé par la peur : annihiler ce qui sortait des normes. On ne pouvait fermer l'œil le soir sans les entendre à travers ces rumeurs qui rampaient autour de nous, glissants sur le sol à la manière d'un serpent avide de dévorer ses victimes, de les réduire au néant.

                  Le gouvernement, par son pouvoir sur cette population, évoluant dans les ténèbres de l'épouvante, parsemées par ci et par là d'une once d'espoir, tournait parent contre parent, fils contre père, père contre fille. Il ne s'agissait jamais que d'une seule nouvelle répression, mais d'une mise en place progressive, qui rappelait, chaque mois, que nous n'étions pas en sécurité. Alors, Hitler cracha des lois, aux reflets rouges. Tu ne pouvais plus exercer ton métier, faire ce que tu aimais plus que tout. Ils te privaient de ton loisir dont tu te plaignais pourtant si souvent, pour empêcher une véritable propagation d'un savoir, dénudé de faux idéaux utopiques.

                 Comment ne pourrais-je me sentir désolée ?

                J'avais l'impression d'être moi-même à l'origine de tous tes malheurs en ne restant que simple spectatrice. Ainsi, Anne, endormie sur ce lit, tu semblais sortie de la triste réalité de la société, de sorte que je me demandai si cette couverture dans laquelle tu t'étais enfouie, n'avait pas de magiques propriétés que la science ne lui reconnaîtrait pas. Tu te tournas, les yeux toujours clos et ta beauté plus éclatante que jamais. Au fond, je voudrais pouvoir être assoupie à tes côtés, te prendre dans mes bras et cesser d'occuper mes pensées avec toutes ces informations d'ordre politique qui n'avaient en elles aucune logique.

              Pourtant, j'en étais incapable. L'absence de sens qu'avaient les engrenages de l'univers me rendait misérable, rongée par cette faiblesse, cette épouvante qui me détruisait chaque jour un peu plus : celle de te perdre. Elle envahissait mes vaisseaux sanguins, lorsque tu étais loin de moi et disparaissait au plus profond de mon esprit dans un coin reculé de mes pensées, lorsque tu étais à mes côtés. On dit de l'amour que l'être aimé complète le vide du cœur. Voilà une stricte vérité. Cette dernière qui rendait dystopique un monde sans ton odeur, tes rires, tes remarques et ta voix.

              Ma main se déplaça, voulant frôler tes cheveux, y glisser mes doigts, pour te caresser, entremêler avec délicatesse chacune de tes mèches aux extrémités d'or. Il s'agirait plus, pensais-je, d'une volonté de m'imprégner de cette douceur qui émanait de ton corps. Pourtant, sans même que je n'eus terminé ce contact que je désirais tant, tes yeux s'ouvrirent dévoilant tes pupilles émeraude.

Gabrielle | Coupable d'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant