3 ans plus tôt...
1, 2, 3, j'allume la mèche. Je me recule pour ne pas me prendre la fusée en pleine tronche, ce qui ne serait, après tout, que l'apothéose d'une journée bien merdique, mais ça n'a pas pris. Je dois recommencer. Bien ma veine ça. A ce prix-là, je me doutais que ce ne serait pas non plus le feu d'artifice de la St Sylvestre, mais...
— Tu as besoin d'aide ?
Je sursaute si fort que j'en lâche mon briquet qui fait un vol plané jusque dans les buissons. Dans le noir, autant dire que je ne remettrai jamais la main dessus. Merde, mais merde, remerde, c'est pas possible ! Je suis prise d'une furieuse envie de me rouler par terre comme les gosses et de faire un caprice, pourtant je me retiens. Il doit me rester une once de dignité bien enfouie quelque part, et je ne me donne pas en spectacle devant l'étranger qui m'a interrompue. Il est grand, très grand même. Porte une salopette en jean déchirée aux genoux (bon sang, de quand date la dernière fois où j'ai vu un être humain habillé d'une salopette ?) et rien en dessous. Ses cheveux bruns sont trop longs, je n'aime pas du tout. Toutefois, il arbore un sourire d'une rare bienveillance.
— Si tu n'avais pas besoin d'aide avant, maintenant, je crois que c'est le cas, s'amuse-t-il. A moins que tu ne possèdes plusieurs briquets, ou des allumettes. Ou des silex.
Il se fout de moi. Ce qu'il ignore, c'est que ce n'est pas le bon moment. Mon niveau de tolérance à la connerie frôle le zéro absolu. Néanmoins, il n'a pas tort, je suis bloquée. Pas de feu d'artifice, ce soir. Tant pis pour moi... Je suis tellement dépitée que je ne suis même pas inquiète de la présence de ce type immense torse nu qui me regarde avec un air rieur. Bien qu'elles soient dans ses poches, je suppose que ses mains sont assez grandes pour me dévisser la tête et en faire un ballon de basket, mais je m'en moque.
— Je peux essayer ? me demande-t-il en se penchant sur la petite fusée.
J'opine du chef. Au point où j'en suis, il peut bien faire ce qu'il veut.
— Va t'asseoir sur le banc pour profiter de la vue, me dit-il avec un clin d'œil et cette proposition pleine de gentillesse me fait monter les larmes aux yeux.
Pathétique.
J'obéis pourtant. Je m'installe, jambes repliées contre mon torse. Je regarde l'inconnu et constate qu'il est pieds nus. Il doit être complètement défoncé. Rien que l'idée de mettre une salopette... il se drogue, je ne vois pas d'autre solution.
Cette fois, la mèche s'enflamme sans problème et le fil se consume en vitesse. Le jeune homme éclate de rire avant de me rejoindre en courant. A l'instant où il se jette à côté de moi, la première explosion retentit à une vingtaine de mètres du sol. La belle bleue !
Les fusées s'enchainent si rapidement que j'en profite à peine, consciente de la présence de l'inconnu qui se tient collé à mon épaule. Aux lumières multicolores, je vois son visage, on dirait un gamin. C'est la raison pour laquelle j'aime tant les feux d'artifice ; on retrouve tous notre part d'enfance en les observant. Voilà, c'est terminé. Le silence retombe sur nous. Il applaudit.
— Tu célébrais le 14 juillet en avance ?
J'hésite une seconde, mais décide de lui dire la vérité.
— Non, c'est mon anniversaire.
— Ah, fantastique !
Et rien de plus. Il ne me le souhaite même pas. Il se contente de fixer le ciel étoilé.
— Comment tu t'appelles ?
Sa voix est chaude, réconfortante. Je continue à me confier à ce parfait inconnu.
— Joséphine.
— Joli prénom, déclare-t-il en hochant la tête.
— Cesse de te foutre de moi, tu veux ?
La surprise qu'il affiche pourrait être comique s'il n'avait pas l'air aussi déçu.
— C'est sincère, m'affirme-t-il.
— Je le déteste, moi.
— Pourquoi tu n'en changes pas dans ce cas ?
Sa question me prend au dépourvu. Je ne sais pas quoi répondre.
— Tu aurais pu te présenter autrement. Je ne te connaissais pas il y a de ça dix minutes, et je ne vais pas te demander une pièce d'identité. Si tu m'avais dit te prénommer Améthyste, je ne t'aurais pas contredite.
Je le regarde, sceptique.
— Améthyste ? Ça existe ça ?
— J'en sais rien, rit-il. Aucune importance, tant que c'est ton choix.
Je réfléchis, mais je n'ai pas d'idée. J'ai passé ma vie à me plaindre de mon prénom, sans jamais chercher à savoir lequel me conviendrait. Avant que j'ouvre la bouche pour lui en proposer, il reprend la parole.
— En revanche, maintenant, c'est trop tard, décrète-t-il. Tu ne peux plus changer avec moi, tu m'as dit Joséphine et il se trouve que c'est un prénom que j'affectionne et qui te va parfaitement. Je ne me vois pas t'appeler autrement, désolé.
En 24 ans, je crois que c'est la première fois que j'apprécie presque mon nom. Je lui jette un regard oblique. Hormis la salopette, il porte des bracelets de cuirs aux deux poignets et une bague à l'annulaire de la main gauche. Marié, donc. Ce type m'intrigue.
— Moi, c'est Sandro, dès fois que ça t'intéresse.
Oui, mais avec ce qu'il vient de m'avouer, j'émets quelques doutes quant à la véracité de son affirmation. Pourquoi pas, après tout. Avec son teint mat et ses cheveux, trop longs, noirs, il pourrait être d'origine italienne.
Nous restons immobiles à écouter les stridulations des grillons. La présence de cet homme, au cœur de la nuit, dans ce parc déserté, me fait du bien. Alors, sans qu'il m'ait rien demandé, je lui déballe ma vie.
De A jusqu'à Z.
De mon enfance sans père à l'annonce du cancer de ma mère, ce matin. Les mots coulent de ma bouche comme l'eau libérée d'un barrage. Je fais quelques digressions sur mes études ratées, mes relations amoureuses sans lendemain et sur ce sentiment d'inutilité qui me poursuit quoi que je fasse.
Il dégaine de nouveau son sourire énigmatique.
— Je pense que c'est du génie de tirer un feu d'artifice pour son propre anniversaire. Je n'en reviens pas de ne pas avoir eu l'idée.
Je grimace. Une fois de plus, j'ignore s'il me charrie ou pas. Méfiante, je lui suggère :
— Tu le feras pour le prochain
— Trop tard. C'était aujourd'hui.
Je me tourne vers lui.
— C'est vrai ?
Il écarquille les yeux avec exagération avant de s'esclaffer. Je lui donne un coup sur l'épaule.
— Tu me baratines !
— Avoue que cela aurait été une jolie coïncidence, tout de même ?
Je n'en reviens toujours pas d'avoir ainsi étalé ma vie à un gars qui clairement s'en balance. Pourtant, je dois reconnaitre que cela m'a délesté d'un poids, et que son absence de jugement est rafraichissante.
Il est bientôt minuit, je dois rentrer. Non pas que je risque de me transformer en citrouille, ça, mon manque d'assiduité à la salle de sport s'en ait déjà chargé, mais parce que mon chat m'attend.
Pathétique. Encore.
Avant d'abandonner mon compagnon d'un soir, je veux élucider le mystère des pieds nus.
— Pourquoi tu n'as pas de chaussures ?
— Pourquoi j'en aurais ? me rétorque-t-il, me clouant le bec, une nouvelle fois.
Et c'est à ce moment-là qu'il m'expose sa théorie.
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Look beyond
Cerita PendekUne nuit de juillet. Un parc désert. Joséphine ne devrait pas se trouver là, et pourtant elle est venue. Pour l'attendre. Lui parler, peut-être, et lui demander de se projeter... De voir plus loin que les barrières qu'il imagine. L'amour de Joséphin...