12 juillet 2016

43 13 1
                                    

2 ans plus tôt...

1,2,3...

Je souffle sur les bougies, mais cet abruti, avec sa cage thoracique de géant, les éteint toutes avant moi. Je m'insurge.

— C'est mon anniversaire !

— Et le mien, répond-il calmement.

— Absolument pas. Ce n'est pas parce que tu le décrètes que c'est le cas.

— Justement si. Sers-moi la plus grosse part de ce gâteau immangeable, s'il te plait.

Nous nous installons dans notre minuscule jardinet, atout majeur de cet appartement de plein pied. Deux chaises, une table et des herbes hautes. Il faut laisser vivre les insectes, parait-il. Si on tondait, forcément ils seraient tous exterminés, ce qui est impensable pour l'homme qui partage ma vie.

Lorsque je bois mon café le matin, j'avoue apprécier le spectacle des toiles d'araignée perlées de rosée, et je ne pensais pas que l'on puisse avoir autant de coccinelles dans un espace aussi petit. Par contre, je redoute les serpents ; à chaque fois, Sandro se moque de moi en me voyant replier mes jambes sur mon siège.

L'expérience culinaire que nous avons tentée s'avère infecte, en effet. Nos deux morceaux finissent au fond du jardin « pour les fourmis ». Nous nous embrassons, Sandro glisse ses mains sous mon t-shirt tout en me faisant reculer jusqu'à la chambre. Pas le temps d'arriver au lit, nous faisons l'amour à même la moquette rouge élimée que je déteste tant.

Je me réveille une heure plus tard, la nuque endolorie de m'être assoupie sur le bras de Sandro. Lui dort comme un bienheureux. Ce qu'il est. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme lui. Aussi libre, aussi insouciant.

Il ne s'impose rien. Pas de carcan, pas d'idée préconçue, pas de jugement. Aucun des diktats de la société ne le concerne, il vit son existence au gré de ses envies. A son contact, j'ai appris à relativiser. Beaucoup.

Sandro est serveur dans un bar où tout le monde le nomme Simon. Il a du s'arranger avec le patron. Quant à notre boulangère, elle croit qu'il s'appelle Vincent et l'épicier Zola. Selon lui, la vie est trop courte pour se cantonner à un seul choix. Et encore plus pour subir celui des autres, en l'occurrence celui de ses parents. J'ignore comment il fait.

Et même lorsqu'on le met face à ses contradictions, son attitude nonchalante et espiègle est si désarmante qu'on ne parvient pas à rester fâché.

Avec lui, la vie est une fête perpétuelle. Depuis que nous sommes ensemble, un monde de possibilité s'offre à moi. Je me suis aperçue qu'avant je portais des œillères.

On reproduit des schémas sans jamais penser à les changer. Sandro ne suit pas les chemins tout tracés et ne s'embarrasse pas des conventions sociales que nous suivons tous comme des moutons. Il peut aussi bien se rendre à la banque en combinaison de ski que s'inviter à manger chez de parfaits inconnus, sous prétexte que l'odeur qui s'échappe de leurs fenêtres est alléchante. J'étais présente ce jour-là, je ne savais plus où me mettre. En fin de compte, nous avons passé une soirée mémorable.

Je me lève, encore dénudée, et enfile le premier vêtement qui me passe sous la main : la fameuse salopette. Mon doudou. Dès que j'en ai l'occasion, je me réfugie dedans, même si je ressemble à une gamine qui piquerait les affaires de son père.

Dans la salle bain, je me passe un peu d'eau sur le visage. Je me scrute dans le miroir. Je suis différente, j'ai tellement changé en un an ! Mes traits sont moins tirés, moins durs qu'auparavant.

Je m'interroge sur l'éventualité de recevoir un cadeau. Habituellement, Sandro ne m'en offre pas, en tous cas, pas le jour J. Trop conventionnel.

Ce week-end, je pourrais peut-être inviter quelques personnes pour fêter ça en petit comité. Dans ma tête, une liste rapide de collègues et copains émerge tandis que je m'assied sur le rebord de la baignoire. Mes yeux se posent sur le robinet en laiton.

Mes souvenirs me renvoient huit mois plus tôt, quand nous avons découvert cet endroit. Nous ne nous étions plus quittés depuis cette nuit-là au jardin public. Le besoin de s'installer ensemble se faisait pressant. Ma mère avait décollé pour l'Afrique et Sandro venait de libérer son ancien logement.

Lors de la visite, rien ne me plaisait ici, hormis cette antique baignoire à pattes de lion qui dénotait dans ce deux pièces décrépi. Ce fut un coup de foudre.

Nous avons donc emménagé rapidement, sans rien d'autres que quelques vêtements et une guitare, seule vestige des affaires de Sandro. Tout le reste avait été vendu ou donné. Le ménage par le vide.

La première nuit, nous l'avons passée blottis l'un contre l'autre dans notre somptueuse baignoire. Point de sommeil, nous étions trop mal installés, mais beaucoup de rires. La deuxième, nous avons réitéré, l'amusement en moins. J'avais mal partout. Le troisième jour, j'ai acheté un lit. Vivre d'amour et d'eau fraîche, merci bien. Sans être une petite nature, au bout d'un moment, il me faut de la nourriture terrestre et un minimum de confort !

Parfois, lorsque je me réveille au milieu de la nuit, il m'arrive de retrouver mon grand gaillard dedans, sa carcasse lovée en position fœtale.

Du bruit dans le salon me sort de mes pensées. Je sais déjà ce qui m'attend : Sandro qui fait des étirements, dans le plus simple appareil.

Pas forcément une vision paradisiaque, en tous cas pour certains, mais moi, j'aime voir son long corps musclé s'ébattre sans pudeur. Nous sommes au paroxysme de l'intimité, au plus près de la vérité de l'autre.

Pas d'inhibition. Cela m'amuse et me touche, j'ignore pourquoi.

Toutefois, je me trompe, il s'est rhabillé, et fais du yoga. Salamba Sirsasana. Le poirier, en plus élaboré. Je souris en l'imaginant le faire nu.

— Tu es prête ? me lance-t-il.

— Pour ?

— Nous allons manger des huitres.

— Si tu veux. Je pensais inviter du monde demain soir...

Il se remet la tête à l'endroit pour me répondre.

— Impossible !

— Pourquoi ?

— Je viens de te le dire, les huitres !

Je hausse un sourcil, pressentant que mes plans vont tomber à l'eau.

— Et ?

— Les meilleures huitres, il faut aller les chercher à la source, Jo, m'affirme-t-il en dégainant son sourire en coin.

Sans crier gare, il me soulève de terre et me pose sur son épaule. Je proteste, pour la forme. J'adore quand il fait ça.

— Laisse-moi m'habiller au moins ! En plus, je suis toute échevelée.

Il me donne une claque sur les fesses.

— Tu n'es jamais aussi belle qu'après l'amour. En route pour le bord de mer !

Look beyondOù les histoires vivent. Découvrez maintenant