Aujourd'hui
... 3 ans. Pas une minute de plus, pas une de moins. Au terme de ce laps de temps, l'envie se tarissait, le désir se fanait.
Voilà ce qu'il m'a exposé, ce jour-là. Selon lui, ce procédé évitait la lassitude et entretenait la passion. Trois années laissaient le temps de perfectionner la pratique d'un instrument ou d'un sport, sans ressentir l'essoufflement de la motivation. Quand je lui avais rétorqué que ça empêchait aussi l'excellence, il avait approuvé. Cela n'avait pas d'importance, selon lui, il n'y aspirait pas.
S'il n'avait plus de chaussures dans le parc, c'était parce qu'elles avaient fait leur temps. Des baskets fidèles et confortables, même pas abimées. Il les avait abandonnées sur le bord du chemin, bien rangées, l'une contre l'autre. Le lendemain, il comptait essayer des santiags.
Pour me prouver qu'il ne se moquait pas de moi, il m'avait montré son petit carnet. Des pages entières noircies de dates. Chaque achat, chaque activité, chaque personne était soigneusement noté, avec sa date limite.
Tu n'as donc aucun ami ? lui avais-je demandé, moi qui n'en avais aucun, même sans sa fameuse contrainte.
Si, des centaines ! avait-il répondu. Et les meilleurs. C'est juste que notre amitié ne dure qu'un instant. Mais je suis cent pour cent disponible. Ils peuvent me demander n'importe quoi.
J'avais trouvé cette façon de vivre étrange, certes, mais je n'en avais pas vu les failles sur le moment. Sandro me fascinait avec sa joie infinie et son exotisme. Quand vous ne connaissez que l'obscurité, un rayon de soleil est le bienvenu, même s'il vous éblouie. On ne ferme pas les volets ; au contraire, on ouvre grand les fenêtres.
Et c'est ce que j'ai fait.
Je me suis donnée corps et âme à cet homme flamboyant. Il me l'a bien rendu.
J'ai juste eu la naïveté de croire que notre amour serait plus fort, que notre amour échapperait à sa théorie.
Je pensais que notre couple n'avait pas de date de péremption.
Je me trompais.
Le vent retombe soudain. Je frissonne malgré tout. De froid, mais pas seulement.
Je me mets à rêver. J'imagine la silhouette souple de Sandro traverser la pelouse. Il serait pieds nus, comme un clin d'œil à ce premier jour. Pour me surprendre, il avancerait tout doucement, ses lèvres esquissant son inimitable sourire. Il arriverait dans mon dos, sans que je soupçonne sa présence et poserait avec délicatesse ses longs doigts sur mes yeux. Sa chaleur se répandrait sur ma peau froide et apaiserait tous mes doutes en une seconde.
Mais il ne viendra pas.
Il ne viendra pas me rappeler qu'aujourd'hui, je ne fais plus partie de sa vie, à cause de sa sacro-sainte théorie.
Il ne me laissera pas lui expliquer que tout ça c'est de la connerie.
Il n'écoutera pas ce que moi, j'ai à lui dire.
Il ne saura jamais qu'en prenant des risques, on peut découvrir le merveilleux, que parfois, il faut bien plus de trois ans pour construire.
Il n'entendra jamais les petits battements de cœur qui tambourinaient ce matin à l'échographie.
Il y a tant de choses qu'il ne vivra jamais.
Quel gâchis.
Je me lève. Caresse une dernière fois ce banc sur lequel je ne m'assiérai plus.
Il est temps de rentrer chez moi. Le regard tourné vers l'horizon. A cet instant, je vois au-delà de ma peine et je sais que tout ira bien.
Soudain...
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Look beyond
Cerita PendekUne nuit de juillet. Un parc désert. Joséphine ne devrait pas se trouver là, et pourtant elle est venue. Pour l'attendre. Lui parler, peut-être, et lui demander de se projeter... De voir plus loin que les barrières qu'il imagine. L'amour de Joséphin...