Elle s'appelait Agathe. Elle était quelqu'un d'extraverti. Elle savait où elle allait, elle savait quoi faire, elle ne semblait avoir aucun doute sur la démarche à suivre. Malgré tout mon bon vouloir, il était impossible de l'ignorer. Tout d'abord, elle faisait tout pour être vue. Elle était assidue en cours, sans être l'intello, elle était assez rebelle, sans être irrécupérable. C'était la première à aller au tableau pour répondre aux questions des profs, c'était aussi la première à quitter les cours magistraux ennuyeux. Elle avait un look voyant, et malgré la plupart de ses vêtements sombres, elle avait toujours une petite touche provocante, des collants ou des chaussettes hautes qui mettaient en valeur ses longues jambes, ou un décolleté discret, ou juste parfois, des hauts avec de couleurs vives, comme du rouge, du violet ou du bleu électrique. Ses lèvres noires avaient fait le tour de l'université, suscitant des remarques d'admiration et d'exaspération. Quand elle riait aux blagues des autres, son rire cristallin se répercutait dans les couloirs, ou elle parlait fort juste pour qu'on l'entende et qu'on la remarque. Au départ, je trouvais ça agaçant. Je n'aimais pas les gens qui se mettaient trop en avant. En général, c'était pour cacher un manque de confiance en soi. Mais Agathe m'intrigua bien vite, car ce n'était visiblement pas son cas. On voyait par nombre de ses regards et nombre de ses sourires qu'elle savait ce qu'elle valait. Je restais de longues minutes à l'observer parfois. Elle cachait quelque chose.
***
Un midi, alors que nous étions en train de travailler dans l'amphi où nous aurions le cours suivant, les gars m'envoyèrent chercher des cafés.
- C'est toujours moi qui y vais, alors que je ne bois même pas de café ! protestai-je.
- Heureusement que tu ne bois pas de café, tu pues déjà assez de la gueule avec tes clopes, se moqua Tim.
- Ferme-la, avec toutes les substances illicites qui passent par la tienne, je sais même pas comment on fait pour pas être morts asphyxiés.
Ben applaudit ma répartie, pendant que Tim riait aux éclats. Je me levai, guère enthousiaste et récoltai leurs pièces pour le café. Je positivai en me disant que j'allais me prendre un chocolat chaud, ceux des machines étant délicieux. Arrivé devant la machine, je pris leur commande et fouillai ensuite dans mes poches.
- Ah, et merde ! m'énervai-je.
Seulement dix centimes traînaient dedans. J'étais pourtant persuadé d'avoir plus. Agacé d'avoir dû me déplacer sans avoir un petit plaisir à moi aussi, j'attrapai leurs gobelets fumants et me retournai pour aller dans l'amphi. Je faillis avoir une crise cardiaque. Agathe se tenait derrière moi et me tendait un gobelet, un petit sourire aux lèvres. Ses yeux restaient cependant froids et je me sentis obligé d'être sur mes gardes.
- Tiens c'est pour toi, me dit-elle.
- C'est quoi ? Demandai-je, soupçonneux.
- Un chocolat chaud ! Répondit-elle, ravie.
Ses yeux se plissèrent un instant, et je ne pouvais nier qu'elle avait de magnifiques yeux noirs.
- Et pourquoi m'offres-tu un chocolat chaud ? Dis-je, lentement.
- J'ai vu que tu n'avais plus assez de monnaie, alors je t'en ai pris un.
Elle mentait. Entre le moment où je m'étais aperçu que je n'avais pas assez d'argent et le moment où elle me l'a tendu, elle n'avait jamais eu le temps de prendre un chocolat à une autre machine et revenir ici. J'observai son gobelet et ses yeux alternativement, sentant quelque chose de louche là-dessous. Elle se méprit sur mon malaise et déclara, en souriant d'une manière adorable :
- Ah bah oui, tu n'as pas assez de mains ! Attends, je te l'amène. Tu es avec Timothée et Benjamin dans l'amphi, non ?
J'aurais très bien pu le prendre entre mes doigts. Depuis le temps que je traînais avec eux, j'avais appris la technique de saisir trois gobelets en un seul passage. Mais avant même que je fasse la réflexion, elle était partie devant. Je grommelais dans ma barbe. Non mais pour qui elle se prenait ? J'arrivai dans l'amphi avec mes deux gobelets. Celui d'Agathe trônait à ma place, alors que Tim et Ben la regardaient descendre les escaliers la bouche grande ouverte. Quand j'arrivai près d'eux, ils se tournèrent vers moi d'un bloc.
- Elle t'a offert un chocolat ?! s'insurgea Tim.
- Bien contre mon gré, grommelai-je.
Je posai leur gobelet et jetai un regard furieux à Agathe. Elle me regardait avec un regard taquin absolument inapproprié.
- Tu lui plais, nota Ben.
- Pitié !
Je m'assis à leurs côtés, guère enthousiaste. Agathe était jolie, et intéressante. Elle s'entendait avec la plupart des gens de notre classe. Mais moi, quelque chose m'intriguait chez elle, quelque chose dont je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus. Quand j'en parlais aux gars, ils levèrent les yeux au ciel d'un même mouvement.
- Mec, arrête de voir des trucs là où il n'y en a pas ! Lança Ben.
- Il faut toujours que tu essaies de comprendre le pourquoi du comment, ou de lire entre les lignes, mais là, elle est juste gentille et elle t'offre un chocolat pour faire un premier pas vers toi. Il n'y rien d'autres à piger ! Affirma Tim.
- Timothée ou le manuel de la gente féminine, dis-je, aigre. Je croyais que tu ne perdais pas de temps avec tes conquêtes pour discuter de quoi que ce soit.
- Peut-être, mais j'ai déjà été amoureux, dit-il sagement.
- Et donc, tu connais tout aux femmes, c'est ça ?
- Non, je dis juste que je ne suis pas un sans-coeur !
- Toi, Ismaël, tu es trop sensible, dit Ben, d'un air de dire de me calmer un peu.
Ce n'était pas la première fois qu'ils me faisaient la réflexion. Même dans ma famille, on me le disait. J'étais le premier à deviner l'assassin dans une série policière, ou le premier à deviner le scénario d'un film d'amour. J'y pouvais rien ! J'aimais comprendre les autres. Il y avait tant d'êtres humains dans le monde, tant de manières de voir le monde. Il fallait juste se mettre à la place des autres pour comprendre mille fois plus de choses que si on restait dans son petit esprit étriqué. Je soupirai et jetai un coup d'oeil au chocolat chaud, un peu suspicieux. Je ne l'avais pas vue le prendre. Et si elle avait mis quelque chose dedans ? Je poussais un nouveau soupir et buvait une gorgée. Il avait exactement le même goût que d'habitude. Agathe me regarda avec un sourire triomphant. Je haussais les sourcils avec exagération, pour bien lui faire comprendre que ça ne me plaisait pas. Elle se contenta d'éclater de rire.
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Agathe
FantasyIsmaël rentre en deuxième année de licence anglais. Il reprend l'habitude de ses amis, de ses cours, de ses sorties. Pourtant, il rencontre Agathe, la mystérieuse, Agathe, que tout le monde semble apprécier, Agathe, qui semble à l'aise au milieu des...