Chapitre 1

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Le Temps est une valeur abstraite lorsque l'on est plongé dans les profondeurs des abysses depuis la nuit des temps. Jamais il ne remonte à la surface, le travail qu'on lui a attribué ne le lui permet pas. Il observe les morts défiler jusqu'à lui, leur coeur dans leurs mains. Ils avancent vers lui et lui présente leurs organes de vie, ayant tous envie de rejoindre la vie d'après. Il saisit le coeur et le pose avec précaution dans la balance du jugement. L'animal à ses côtés lèche ses lèvres de crocodile en voyant le plateau de la balance contenant le coeur s'enfoncer, largement plus lourd que la plume. Son jugement est sans appel, l'âme de ce défunt n'est pas acceptée, son coeur est trop lourd, signe d'une vie en contradiction avec les lois écrites par ses semblables. Sans aucune hésitation, il lâche la bête anthropophage sur le mort et l'observe dévorer son corps et son âme. Le suivant est accepté dans la demeure d'Osiris. Et ainsi de suite jusqu'à la fin des temps. Condamné à la solitude jusqu'à sa propre mort, dans un monde où les sentiments n'ont pas leur place, il travaille nuits et jours, dans la moiteur du pays du trépas. Anéantir la vie ou la faire accéder au palais d'Osiris...telle est sa routine depuis sa plus tendre enfance. Son père lui a interdit d'avoir un quelconque contact avec le monde des vivants. Il avait réussi à tenir jusque là, refoulant ses envies de voir autre chose, finissant par l'oublier...Mais arrive un jour où même pour l'impassible dieu de la mort, il devient difficile de pouvoir cacher ou renier sa curiosité. Un mort se présente à lui...comme tout les autres, tenant son coeur entre ses mains. Au moment où il va pour prendre l'organe de vie, le mort se met à pleurer...

-Mon Seigneur Anubis...laissez moi la vie sauve...faites moi revenir parmi les vivants...je vous en supplie...

Il incline sa tête lupine...c'est la première fois qu'une âme s'adresse à lui. La bête à ses côtés grogne et sort ses griffes.

-Arrête! Rugit il en s'adressant à l'animal qui se calme presque aussitôt. Laisse le parler.

Il retourne son attention vers l'âme et l'observe attentivement attendant son explication.

-Ma fille...à encore besoin de moi...sa mère à rejoint la demeure du dernier roi...Elle n'a plus de famille...
-Je regrette...les morts ne reviennent pas à la vie...
-Je...vous en prie...elle n'a que huit ans...

Huit ans? Il ne sait pas ce que cela représente...il ne connaît rien en humanité...il ne fait que les accueillir aux portes de la demeure d'Osiris...

-Les règles sont les règles...aucune âme ne peut remonter dans le pays des vivants.

L'homme se met à hurler de rage face au dieu.

-Vous êtes cruel et sans coeur! Les dieux ne s'intéressent pas aux Hommes...Ils restent sourds aux demande de leurs fidèles...Vous ne savez rien de la vie...vous ne savez que la détruire...Je renie l'existence des dieux...je vous hais!

Cette âme manque de respect envers la totalité des dieux...sa bouche blasphème...ses mots sont venimeux. Mais le dieu reste calme. Le monstre claque ses mâchoires reptiliennes avec agacement. Le dieu canin le sait, le blasphème envers les dieux est décisif...mais étant un être juste, Anubis saisit précautionneusement le coeur de l'âme damnée et le pose dans le plateau. Évidemment, son coeur est trop lourd. La Grande Dévoreuse bondit sur le défunt et le tue sauvagement sous le regard impassible du dieu canin. Tout reprend son cours normal mais quelque chose broie la poitrine du dieu des morts. Il est vrai qu'il ne connaît rien à la vie des vivants. Les paroles de cette âme planent encore dans sa tête. Lui qui voyait la mort comme une deuxième vie à offrir...lui qui croyait que les Hommes voyaient la mort comme une deuxième chance...finalement, il se peut qu'il se soit trompé...Quelque chose de nouveau naît dans son esprit...Est ce des remords? Il ne le sait pas...il ne s'est jamais posé la question...mais quelque chose est sur...il regrette d'avoir condamné cette âme. Pour la première fois, il a envie de quitter son poste et de monter dans le monde des vivants. Et c'est ce qu'il fait. Il crée un double de lui même avec du sable humide et son propre souffle, lui donnant vie, il se transforme lui même en prenant l'apparence d'un homme et monte dans le pays des vivants. Lorsqu'il fait surface, il est assez surpris...Du sable... à perte de vue...le désert...Après quelques minutes pour s'adapter à la luminosité aveuglante de la création de Ré, le dieu prend sa marche contre le vent brûlant et le sable tranchant. Les aléas du temps ne le blessent pas... c'est un Dieu tout de même...il avance sans difficulté dans la tempête, se fondant dans la tempête de sable, vers la ville la plus proche...Il sait où il doit aller, ses pas le mène vers le demeure situé en dehors de la ville...il se rapproche de la fenêtre et observe...Une jeune enfant qui s'occupe maladroitement d'un homme allongé...inerte sur un lit...il entend ses mots à travers la vitre...

-Papa...je t'ai apporté de l'eau...j'ai prié Imhotep...pour qu'il te soigne...

Pas de réponse...le dieu regarde...mais plus il l'observe...plus il sent un pincement dans sa poitrine...

-Papa...? Regarde...je t'ai fabriqué une statue de chat...comme Bastet... Papa?...Papa...réveille toi...ne me laisse pas...PAPAAAAAAAAA!

La petite humaine se met à pleurer à chaudes larmes en comprenant que son père venait de la quitter pour toujours. Le dieu pose sa main sur le carreau et rentre dans la maison sans prendre la peine de passer par la porte. Il a repris sa forme divine et est donc invisible aux yeux des Hommes...Le vent souffle et le ciel devient noir...

-Papa...j'ai peur...

Anubis est touché par les mots de cette chose si faible...Il pose sa main sur l'épaule si fragile de l'enfant qui sursaute en sentant sa présence mais ne bouge pas croyant qu'il ne s'agissait que d'un simple courant d'air. Le dieu des morts souffle alors sur la peau de l'enfant, faisant apparaître une petite croix d'ankh sur son épaule.

-Te voilà sous la protection divine, jeune humaine...tu ne manqueras de rien et tu ne souffrira d'aucune maladie...telle est la bénédiction d'Anubis...

Sans un mot de plus, le dieu chacal redescend dans son monde est reprend sa tâche millénaire...

Reste à mes côtés...Pour l'éternitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant