Partie 1: Vanessa

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Châtelet les Halles en été était un capharnaüm. Les gens marchaient, allant et venant dans tous les sens comme des fourmis dont on aurait piétiné la fourmilière. Ça grouillait de monde. Vanessa détestait Châtelet. Elle avait arpenté ses magasins 100 fois. Elle en connaissait tous les recoins. Mais pourquoi diable lui avait il donné rendez vous là-bas ? Békalé son cousin avait tellement insisté pour qu'ils s'y retrouvent. C'était bien un coin de noir. C'était le lieu de repère de tous les africains fraîchement débarqué du pays. Vanessa marchait tête baissée. Elle ne voulait pas qu'on la reconnaisse. Châtelet c'était l'endroit où on croisait par hasard une vieille connaissance du pays, à qui on n'a plus rien à dire. Comme cette fois ou elle croisa une jeune femme noire tout sourire à l'accent bangolais prononcé qui l'apostropha par son prénom. « Vanessa on dit quoi ? Tu te rappelles de moi ? » . Cet accent, les bangolais s'empressaient de le gommer lorsqu'ils s'adressaient à des blancs, mais dès qu'il voyait un bangolais ils le reprenaient en l'exagérant comme s'ils avaient besoin de prouver qu'ils étaient toujours bangolais.

« Je suis Elodie la sœur de Djamal » lui dit-elle. "Djamal au lycée Saint louis" reprit elle. Mais quel Djamal? Vanessa ne s'en rappelait absolument pas. Elle répondit machinalement que oui avec un sourire feint. Elle détestait ces moments de flottement où elle parlait à quelqu'un qui semblait la connaître, mais dont elle n'avait aucun souvenir. Ça faisait plus de dix ans qu'elle était partie de Bangos après son bac. Sa vie d'avant semblait appartenir à une autre. 

Fini le lycée et  ses codes. Ses clans,  ses groupes ethniques, ses lois. Le port de  l'uniforme qui n'empêchait pas de savoir  qui était qui. Les fils et les filles à Papa reconnaissable à leurs paires d'Air Jordan, les filles à la peau claire et les métisses chouchoutes des professeurs. Les premiers de la classe, les joueurs de basketball, les tableaux d'honneurs, les mecs qui s'échangeaient leurs paires de chaussures pour donner l'illusion qu'ils en avaient plusieurs... Et puis il les « autres ». Ce parallèle était étrange.

Depuis qu'elle était à Paris elle était dans un autre monde. Les hiérarchies sociales de Bangos avait disparu. Là ou à Bangos on vous reconnaissait à votre nom de famille, si vous étiez parenté à tel ou tel ministre, votre ethnie, votre village, dans quelle société travaillait vos parents, si vous vous distinguiez dans une discipline, ici tous les noirs étaient considérés aux yeux de la société comme appartenant à un groupe social à part entière partageant la même expérience ; celle de n'avoir d'autre personnalité que d'être noir. Avant toute chose vous étiez noir. Etre noir c'était comme aimer le foot. Il y avait toujours plein de chose à se dire entre noirs. La dernière injure publique de Zémmour, le derniers cas de violence policière, la discrimination au travail, les galères de préfectures, le nouveau bounty de la télévision, ce fameux noir censé représenter tous les noirs de France, qui souvent était aussi gay, histoire d'optimiser les causes...

Ce qui encourageait sans doute les africains à s'accrocher naturellement au moindre visage familier de leur ancienne vie qu'ils apercevaient dans la foule parisienne. Histoire de retrouver l'espace d'un instant aux yeux d'un autre être humain une identité propre dépassant sa condition de « bledard » comme les noirs de France se plaisaient à les appeler.

 Vanessa avait quelques  amis blancs mais avec le temps, l'âge et le poids des responsabilités , elle sentait un malaise sur lequel elle n'arrivait pas à mettre  le doigt. Comme son ancienne collègue Laure, une blonde énergique à fleur de peau dont le petit ami était du bénin. « Je pense qu'on ne peut pas accueillir tous les immigrés. Essayons d'avancer avec ceux qui sont déjà là. Il n'y a déjà pas assez de travail pour les français. En plus on leur donne des allocations» «C'est grave ce que tu dis»  retorqua Vanessa. « Oh arrête tu sais très bien que je ne suis pas raciste, je suis simplement pragmatique.  »   Après avoir été au chômage pendant un an elle tenait les immigrés responsables de sa perte d'emploi. Pour elle, Vanessa était bien sûr une exception pas comme tout ces immigrés qui feraient mieux de rester en Afrique. Avec la crise il était fréquent de taper sur les immigrés. Vanessa avait d'ailleurs écris un post Facebook à ce sujet qu'elle intitula : « La France ne produit ni pétrole, ni uranium, ni café et encore moins du cacao, à vous mes amis blancs vous pêchez par votre ignorance ».

Vanessa espérait que la jeune fille ne pose pas plus de question, elle ne voyait pas d'intérêt à cette conversation et en plus elle était pressée. Mais ce fut peine perdue. Elodie demanda des nouvelles de son frère, de sa mère, de son chien, si elle jouait toujours au basket... Elle lui raconta ses galères de préfectures. Au bout d'un moment Vanessa finit par se rappeler de ce fameux Djamal avec qui elle avait flirté au lycée. Une histoire bien courte. Elle se souvint pourquoi son esprit avait choisi de le filtrer de sa mémoire. Elle l'avait croisé par hasard à Châtelet. A 35 ans il squattait en jogging Adidas, casquette et basket sans chaussettes, la peau de ses chevilles sèches était tellement blanche qu'on aurait dit qu'il s'était enduit de craie. 

Vanessa se faufila tant bien que mal dans l'escalator. Un couple en train de s'embrasser occupait les deux côtés bloquant le passage à gauche. Vanessa émit un grognement, qui fit sursauter le couple. Il se décala vers la droite libérant le passage. Sans doute des touristes se dit elle.

  Elle se sentit coupable. N'avait elle pas fait ça? Affichant son couple mixte dans toute la capitale . Alex et elle formaient un si beau couple qu'il donnait la migraine aux militants d'extrême droite, qui les observait avec des yeux pleins de mépris quand ils se tenait la main dans les transports en commun. Vanessa adorait leur donner matière à déchaîner leur rage. Fricotant en publique .  Ce beau blanc et cette belle noire. Car oui Alex était un beau partie.  Non pas un de ces blanc dont aucune blanche ne voudrait qui s'amouracherait de la première noir en manque de papier. Non Alex c'était le mâle alpha. Et il l'avait choisit elle. Dans un monde de blanc ou la noir est le second choix. Mais c'était fini à présent. Il l'avait quitté. "Vanessa mais que veux tu a la fin ?"
Arrête s'il te plaît. Rien ne te satisfait. Jusqu'où veux tu aller ?" . "Je n'en peux plus. "

Avait elle essayé de le retenir ?
Non même pas. Peut être espérait il qu'elle change d'avis. Mais non c'était niet. Sa carrière passait avant tout. Et même avant lui. Lui cet homme parfait ce prince charmant. Servie sur un plateau d'argent.

Et puis peut être qu'elle ne l'aimait pas assez ?   

 Elle était en retard à son rendez vous. Elle regretta de ne pas avoir pris un Uber. Uber avait révolutionné sa vie. Les chauffeurs étaient tellement agréables avec leurs bonnes manières, leurs chemises blanches et leur cravate rouge, leurs bonbons et leurs bouteilles d'eau, le soin qu'ils apportaient à leur véhicule qui sentait bon le cuir neuf. Pas comme ces taximans qui ne disaient même pas bonjour, la tutoyant comme s'ils avaient élevé les cochons ensemble. Leurs banquettes arrière étaient recouvertes d'un tissu douteux sentant le vomi, et leurs tarifs dépassaient l'entendement. Vanessa était contente qu'il soit mis à mal par la concurrence d'Uber cela semblait rééquilibrer les choses.

L'escalator la fit déboucher sous la canopée. Elle était presque arrivée. Elle scruta les alentours et reconnu Dwayne vingt mètre plus loin, un livre à la main. Encore un fantôme de Bangos se dit elle...  

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