Acte II, Scène 4

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SCÈNE IV

Le décor a changé, maintenant le couloir et le salon sont recouverts de miroirs au mur. Corey marche, silencieux, grave, examinant la scène.

LE COUCOU

Satisfait ?

COREY, vide

Oui.

LE COUCOU

Non.

COREY

Peut-être.

LE COUCOU

Jamais satisfait.

Silence de Corey. Il s'énerve soudain et frappe un miroir du poing.

COREY

C'est laid ! Que c'est laid ! C'est laid ! Qu'est-ce qui m'est encore passé par la tête ? J'étais mieux dans le noir. Dans la solitude. Maintenant, ces foutus miroirs reflètent le monde. Il est horrible, le monde, (il regarde le coucou) et toi, tu es toujours là. Tu es partout. Dans chaque recoin, dans chaque miroir. Ah, misérable ! À moins que ce ne soit moi, le misérable ? Quelle drôle d'idée que ces travaux ! Maintenant il n'y a que des coucous partout ! Je ne vois plus que ça, je vais devenir fou.

LE COUCOU

Il est dix heures et quart. Coucou.
(ses paroles se projettent en écho dans chaque recoin où se trouve un miroir) Il est dix heures et quart. Coucou. Coucou. Couquart. Il est dix heures coucou (même jeu, jusqu'à ce que Corey s'effondre)

COREY, les mains sur la tête, il pleure

Tais-toi !

LE COUCOU

Je n'ai rien dit. C'est dans ta tête.
(long silence)

COREY

Faites-la exploser, ma tête.
(Silence. Il se relève. Il fait les cents pas) Ma tête, ma tête... elle est là, elle aussi. Mon corps se reflète de partout.

LE COUCOU

Eh bien ça te fera de la compagnie, triste sire.

COREY

Arrête ça ! Encore une réflexion et je te jure que je t'étrangle.

LE COUCOU

Quel type de réflexions ? Il y en déjà deux.

COREY

Je ne sais pas moi, réfléchis !

LE COUCOU, moqueur

C'est déjà ce que je fais.

COREY

Va mourir.
Il fuit à l'opposé du couloir, face au mur. Dans sa course, il se prend un miroir de plein fouet et tombe sur les fesses. Il s'arrête, silencieux, touche le miroir et reconnaît son visage. Longue hésitation, il sourit tristement en se regardant de haut en bas)
Corey... Hey, Corey. C'est ton corps ça ? Ton corps, je le hais. C'est étrange. Pourquoi faut-il qu'on ait un corps ? Pourquoi faut-il que j'aie ce corps ? Je me sens à l'étroit, là-dedans. Emprisonné. J'étouffe. J'aimerais être un esprit, pour pouvoir m'enfuir. Loin de la matérialité, loin du monde, loin de cette enveloppe charnelle qui me dégoûte. Ce n'est pas moi. Je ne me reconnais pas, quand je me vois, quand je me regarde, je me perds. Je redemande et redemanderai sans cesse : pourquoi a-t-on un corps ? Le corps, c'est le seuil de la douleur. Mentale, physique. Le corps, c'est le seuil du jugement. Partout, le regard des autres. Nous ne sommes que leur perception. Le corps, c'est le seuil de l'agression. Physique, sexuelle. Le corps, c'est une agression. Ça ne devrait pas exister. Ce que le corps nous fait subir, ce que l'on fait subir au corps, ça ne devrait pas exister. (il pose les bras en croix sur ses épaules et tire fort, en criant)
Arrachez-moi la peau ! Je veux sortir !Libérez-moi ! Tuez-moi ! Je ne veux pas de ce corps ! (il frappe le miroir mais retombe dans sa violence, à genoux il le griffe lentement puis se calme) Ou alors, c'est lui qui ne veut pas de moi. Lorsque je vomis ma haine et mon dégoût dans les chiottes après avoir trop bu ; lorsque mon cœur s'accélère, lorsque respirer m'est impossible, lorsque mes jambes lâchent parce que je sais que je ne tiendrai pas... mon corps me rejette. Il me rejette parce qu'il sait que je ne devrais pas exister, et je sais qu'il ne devrait pas. Nous ne sommes pas faits l'un pour l'autre. Lui et moi, on se déteste.
(il se tourne face au public et s'adresse à lui)
A ceux qui osent encore me dire qu'ils aiment ce corps : prenez-le. Allez-y, moi je n'en veux pas. Arrachez-moi les membres ! Un par un ! Arrachez-moi la peau ! Prenez tout, tout, de toute façon la vie m'a déjà pris le reste.

Il reste un moment à fixer le vide face au public.

Le Coucou du couloirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant