ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE
Salon de Corey, étroit et sale. Sur le mur du couloir est accrochée une pendule à coucou.
COREY
Aujourd'hui, j'écris. Aujourd'hui je vais faire quelque chose de grand, même si je sais pas encore quoi. Je vais changer le monde, enfin essayer. Si je n'y arrive pas, j'aurai au moins changé mon monde.
LE COUCOU
T'es bruyant. Qu'est-ce que tu fous encore ?
COREY
J'écris.
LE COUCOU
T'écris pas là, tu gueules.
COREY
C'est un gueuloir, tu comprends ? C'est pour...
LE COUCOU
Tu te prends pour Flaubert ?
COREY
Peut-être.
LE COUCOU
T'es pas Flaubert. T'es personne.
COREY
Je suis un écrivain, c'est déjà ça.
LE COUCOU
Raté.
COREY
Raté quoi ?
LE COUCOU
Toi. T'es un écrivain raté.
COREY
Et toi une horloge. Tout le monde se fiche de ton avis.
LE COUCOU
Alors pourquoi tu rougis ?
COREY
C'est l'alcool.
LE COUCOU
Je savais que tu tiendrais pas. Pourquoi tu bois comme ça ?
COREY
Pour plus t'entendre. (il met un casque sur ses oreilles). Regarde, je t'entends plus.
LE COUCOU
Tu sais que c'est faux. Je suis toujours là.
COREY
C'est différent. Quand j'ai bu je t'entends toujours, mais seulement ce que je veux entendre. C'est pareil quand j'écris, je vis le monde différemment. Je me l'accapare.
LE COUCOU
Les grands Hommes s'accaparent le monde. Toi, tu te contentes de t'en distancer et de le regarder passivement, en espérant qu'un jour il t'appartiendra. Comme un chien devant la vitrine d'une boucherie.
COREY
Parle pas de boucherie, tu me donnes des envies.
LE COUCOU
Tu veux une lame de rasoir ?
COREY
Non.
LE COUCOU
Tu veux une lame de rasoir.
COREY
Comment fais-tu pour si bien me connaître ?
LE COUCOU
Tu le sais. Je suis dans cette maison depuis que t'es petit. Je t'ai vu grandir, comme une pousse de bonsaï. Te tordre de douleur pendant ta croissance jusqu'à en sortir déformé.
COREY
Pourquoi t'as rien fait pour m'aider ?
LE COUCOU
Je suis un coucou. Que veux-tu que je fasse ?
COREY
Tu sers à rien ! Dégage de ma vie !
LE COUCOU
Calme-toi, t'es violent quand t'as bu. Et arrête de saigner sur le parquet.
COREY
C'est pas du sang, c'est ma souffrance qui quitte mes veines.
LE COUCOU
Ta souffrance, elle est sale. D'ailleurs ce salon aussi est sale.
COREY
Normal, c'est un sale-on.
LE COUCOU
Et toi t'es un sale con.
(rire de Corey) Pourquoi tu ris ?COREY
Parce que c'était drôle.
LE COUCOU
C'est pas le sens de ma question. Pourquoi tu ris ?
COREY
Pour oublier la mort.
LE COUCOU
La mort ? T'es sûr ?
(silence) Pour oublier la mort ?COREY
Pour oublier la vie.
(pause) C'est moi ou t'as encore grossi ?LE COUCOU
Je ne te permets pas !
COREY
Ça n'était pas méchant. Enfin probablement, mais moins que toi. Je dis simplement que, depuis que je te connais, tu ne cesses de grossir. De grandir, si ta fierté préfère. Tu prends beaucoup trop de place dans ma vie.
LE COUCOU
Et c'est pas fini. Je finirai par te bouffer.
COREY
A quelle sauce ? Moutarde ? Guacamole ? Sauce au bleu ? Ketchup, peut-être ?
LE COUCOU
Oh, tais-toi. Pas besoin de faire des métaphores avec moi, je sais ce que ça veut dire.
COREY, d'un air insouciant
D'accord, alors faisons une liste. Comment pourrais-je me suicider ? Je pourrais me tailler les veines. Je pourrais me pendre. Je pourrais mettre le gaz à fond. Faire une overdose. Me noyer ou me défenestrer...
LE COUCOU
Stop ! Je connais tout ça, pas la peine de me le rappeler. Toi, tu préfères quoi ?
COREY
Défenestration. J'ai toujours eu une certaine obsession pour les fenêtres. Si je devais mourir, je voudrais voler avant. J'aimerais être un oiseau, comme toi.
LE COUCOU
Pourquoi un oiseau ?
COREY
Pour pouvoir voler jusqu'au soleil... ?
LE COUCOU
Tu mens. Trop poétique. Ça ne te ressemble pas.
COREY
Pourquoi faut-il que tu me connaisses si bien ? Je vais te le dire, j'avoue : les animaux qu'on trouve le plus morts sur les routes sont les oiseaux. Parfois je les envie. Et j'aimerais pouvoir me prendre des vitres sans passer pour un con.
LE COUCOU
Tu es un con. Maintenant dors, tu as trop bu.
(silence des deux. Corey s'allonge au sol, au pied de son lit)
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Le Coucou du couloir
Kısa HikayeLe monde se tue, l'espoir se meurt. Pendant ce temps, Corey parle à un coucou. - Théâtre -