VI

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J'inspirai un grand coup pour me calmer, glissant mes doigts sous mes yeux pour essuyer mes larmes. Non, ça n'allait pas aller. Mais je ne pouvais pas lui dire ceci. Il voulait juste me rassurer. Théo, le barman, m'apporta un chiffon humide, et je le passai sur mon visage, rafraîchissant ma peau et retirant la poussière qui me collait. Déviant le regard, j'aperçus Kristy traverser la foule, accourant vers moi, suivie de près par ses deux frères et son père. Ses bras entourèrent fortement mes épaules, tandis qu'un immense soulagement se peignait sur son visage. Je ne bougeai pas, la laissant m'enlacer fermement. Je m'en voulais de pouvoir ressentir tout ceci. Je m'en voulais par rapport aux victimes restées en ville, par rapport aux personnes dans le bar qui espéraient un appel. J'arrivais à m'en vouloir d'être en vie, d'être revenue.

« On a vu les images à la télé... C'est... Si horrible ?
- Insoutenable. »

Je vis le père de Kristy passer sa langue sur ses lèvres, puis il frotta son visage avec sa main, se tournant en pestant. Il ébouriffa les cheveux roux de Nathan, le petit frère de Kristy, avant de retourner au fond du bar. La télé derrière nous grésilla, et passa toute seule sur une autre chaîne. Tous les regards se portèrent vers l'écran, un silence pesant s'installa dans le groupe. Même les sanglots semblaient s'être tus. Seul le bruit de la porte claquant, signifiant que Patxi rentrait dans le bar, vint briser le calme superficiel. J'osai un regard vers lui, et nos yeux se croisèrent. Il m'adressa un rapide signe de tête, avant que ses yeux ne vrillent vers l'écran plat, et je décidai de faire de même.

Les images étaient silencieuses, comme un très vieux film. L'affichage semblait saturé. Je n'étais pas habituée à une telle qualité : médiocre. Les temps avaient évolué, si les films n'étaient pas réalisés en 3D, ils avaient au moins le mérité d'être d'un réalisme et d'une netteté bluffants.
Au centre de la télévision, la Tour Eiffel se dressait, semblant percer le ciel. Ce dernier était encore jaunâtre depuis les nuages de poussière. Le support qui permettait de capturer ce qu'il se passait était bancal, tremblant légèrement. Tout était diffusé par satellite, en direct. Nous pouvions le voir grâce au petit logo en haut à droite de l'écran. Seules les chaînes de l'État avaient l'occasion de faire ça, disposant d'un réseau directement relié à un satellite. Une journaliste apparut sur l'image, par la droite, et elle s'avançait comme pour essayer de mieux voir quelque chose. Elle était dos à la caméra, le micro pendant à ses côtés. Elle fixait quelque chose dans le ciel, se tourna vers le caméra-man puis lui pointa les cieux du bout du doigt, un reflet de soleil passant sur la bague emprisonnant son annulaire gauche. La personne tenant l'appareil s'avança aux côtés de la femme, nous donnant une vue sur Paris qui était juste à leurs pieds – je pus donc comprendre qu'ils étaient en terrasse – montrant tous les habitants arrêtés au milieu des allées, certains ayant arrêté leur course, stoppé leur discussion avec leurs amis, calmé les pleurs de leur bébé grincheux, ou bien attrapé le collier de leur chien pour leur ordonner de ne plus jouer. Le monde semblait en pause, tous fixaient le ciel, et je crus un instant que l'image avait crashé. Une femme tomba à genoux, ses épaules tremblaient, et l'homme à ses côtés porta sa main à la bouche. Puis le film dévia vers le haut, décidant de suivre le mouvement et pointa l'objectif vers les nuages. Et nous la vîmes. Comme les parisiens, notre souffle se coupa, nous nous immobilisâmes tous dans le bar. L'effroi était collectif, et on aurait presque pu toucher du doigt la tension qui régnait alors ici. Nous avions l'impression d'y être. Nous ressentions la même terreur que les parisiens. Une sphère perça les nuages, tranchant le ciel, descendant à tout allure. Un zoom maladroit se fit en tentant de suivre sa trajectoire. J'aurais voulu que ce moment ne se finisse jamais. Que la boule continue de tomber, que la peur reste gravée en nous, mais que jamais nous ne connûmes l'horreur.

Après d'interminables secondes, la pointe de la Tour percuta la sphère noirâtre, et la caméra trembla, essayant de se stabiliser pour continuer à filmer ce qui se passait. La journaliste eut le temps de se tourner vers nous, son maquillage coulant sur son visage paniqué, et le souffle de l'explosion la balaya. On vit les vagues de feu avancer vers nous, nous donnant l'impression qu'elles allaient faire chavirer la télé, nous noyer dans leur braise. Nous pûmes voir le corps de la femme se disloquer, disparaître en cendres avant que l'écran ne devienne entièrement rouge. Puis, les communications se coupèrent. Et la télé avec.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 15, 2019 ⏰

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Paris DévastéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant