Quatrième Chapitre, Titanic

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Peut-être n'ai-je rien dit, après. Je me revois juste courir, seul, dans les rues vides de passants, devant les rideaux baissés des boutiques. Jusqu'à la porte de notre immeuble. Je me revois, composant le code, essoufflé, en sueur. Je me revois dans l'escalier, grimper une marche après l'autre, avec l'impression d'escalader une montagne. Je me revois entrer dans ma chambre, jeter mon blouson n'importe où et me jeter dans mon lit.

J'ai pleuré, et je me suis endormi.

J'ai été réveillé par une main sur mon épaule, qui me secouait, pas très fort, assez pourtant pour me tirer de c sommeil épais dans lequel je m'était réfugié.
Élie.
Voix froide, celle de ma mère, la voix des mauvais jours.
Ton père et moi, nous avons a te parler. Dépêche toi !
La porte a claqué, elle était déjà repartie, J'ai ouvert les yeux, les étoiles collées a mon plafond s'illuminaient au dessus de moi.
Il fallait que je me lève. J'ai passé une main dans mes cheveux, tiré sur mon tee-shirt et mis un vieux sweat.   Et ce n'était pas comme hier, je n'avait pas à me préoccuper de mon apparence. Je savais, tout au fond de moi, que je ne pouvais plus espérer l'aide et la compréhension de mes parents.
J'allais juste être jugé.

Dis moi que tu n'est pas comme ces gens-là. dis moi que je me trompe.
Ces deux phrases m'ont cueilli sur le seuil de la pièce.
Ils n'avaient allumé qu'une seule lampe, le faux projecteur que mon père adore et dont la lumière crue m'éblouissait.

Élie, tu es jeune. Tu ne te rends pas compte, j'en suis sûr. Tu as des idées tellement... Romantiques sur la vie.
Ça c'était mon père.

Et tu crois que tout le monde te ressemble. Tu vis trop dans tes livres. La vie, c'est pas ça.  Il faut faire attention de ne pas déraper..

Il paraissait fébrile, malheureux. Et il m'offrait une porte de sortie, la possibilité de me réfugier dans l'ignorance, d'avouer la lecture d'un ou deux «mauvais» livres.

Il se rends très bien compte.

Ma mère, qui n'avait pas la moindre intention de me laisser me défiler.
J'ai marché vers la lampe, et je l'ai tournée vers eux.
C'était un peu trop cette mise en scène.
Ça ressemble vraiment a un interrogatoire, ai-je dit calmement, alors qu'un tremblement incontrôlable parcourait l'entièreté de mon corps. Vous ne préférez pas appeler les flics ? C'est leur boulot non ? Vous en profiterez pour me foutre en prison pour «homosexualité».

Ils se sont figés un court instant, puis ma mère a bondi.
J'ai entendu le bruit de la gifle avant d'en sentir la sensation cuisante sur ma joue.

Véronique, arrête !

Ignorant le cri de mon père, elle a levé la main une seconde fois. En trébuchant, j'ai reculé et me suis affalé sur le fauteuil le plus proche.

Debout !

Elle a empoigné le col de mon sweat et m'a tiré, de toute ses forces. J'aurai pu résister, mais on ne se bat pas avec sa mère.

Dis le moi que tu n'est pas comme ça ! Tu as compris ? Je veux l'entendre de ta bouche !

Elle me secouait. Je voyais son visage de tout près. Ce n'était pas elle, cette femme déchaînée, aux traits déformés par la colère. Je laissais aller mon corps comme une poupée de chiffon.

Dis le !

Elle le répétait encore et encore. Et soudain, elle m'a lâché. Mon père lui, n'avait pas bougé, je voyais sa peur a lui, et sa répugnance a elle. Si lourdes, si poisseuses qu'elles semblaient suinter de chaque pore de leur peauet glisser le long de leur corps. Ils en étaient imprégnés.
Et cela créait une barrière entre eux et moi, leur propre fils.
Je regardais ma mère. Et je savais que, dans mes yeux, elle lisait la vérité. Celle que je n'avais pas su leur dire.
Le silence a duré. Combien de minutes ? Je n'ai même pas compté, tout s'était arrêté, même les battements de mon coeur.
Notre famille était un bateau en train de sombrer, et nous étions arrivés a cet instant précis où la proue se dresse vers le ciel avant de couler vers l'abîme, où chacun retient son souffle, espérant un miracle.
Comme dans Titanic.
Et puis, ses lèvres ont bougé à nouveau. J'ai presque eu du mal a l'entendre, elle a dit, dans un souffle :
Va-t'en. 

ainsi soit-ilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant