Chapitre 4 : Suite 2

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Sijah

          Quelle bande d'incapables ! Je suis entouré d'imbéciles ! Cela fait bientôt trois semaines depuis l'oiseau de Fradaë mentionnant la disparition de Ghajii, et bientôt trois semaines que nous sommes assiégés par une armée d'un peu moins de mille épées, sans même en connaître la raison. Aucun de nos émissaires n'est revenu vivant et aucune revendication n'a été émise de nos assaillants. C'est un non-sens ! J'espère qu'au moins l'un de nos pigeons a pu atteindre sa destination et que secours et directives ne tarderont plus à nous parvenir. On peut envisager que l'absence de revendication résulte d'une négociation en cours avec le trône sur cette attaque qui ne porte nulle bannière. Ce simple fait est une étrangeté en soi. Ces hommes en armes ne sont visiblement pas des hors-la-loi. Ils sont bien trop organisés pour cela, et bien trop nombreux aussi. Cela étant dit, nous sommes qui plus est à une distance notable de leur fief. Ils sont essentiellement concentrés dans les montagnes d'Elferra, à plus de mille kilomètres d'ici. Le paysage y est escarpé et le plus souvent déserté de végétation. Un élevage, même de modeste envergure, serait aussi bien source de désagréments qu'un désavantage stratégique. Outre la visibilité qu'il donnerait de leur position, il les freineraient également dans toutes leurs manœuvres. Leur condition précaire et dangereuse ne leur laisse pas la possibilité d'être sédentaires. La lenteur deviendrait un réel et supplémentaire danger quotidien. Raisonnablement, la possession de chevaux par les hors-la-loi ne peut être qu'exclue. Non...Selon toute vraisemblance, il ne s'agit pas de hors-la-loi.
Après trois semaines sans affrontement, nous avons eu tout à loisir de les épier, scrutant tantôt leurs équipements, tantôt leurs habitudes et organisations. Ils n'arborent aucun tabard, donc aucune royauté, maison ou régiment. Quel attaquant ne déclare pas le camp qu'il représente ?
Là encore je n'ai pas de réponse. Au cours de ma carrière, je n'ai jamais vu pareil acte. Ils nous assiègent, et c'est tout. Pour le moment nous n'avons pas trop à craindre d'un manque de provisions. Les taxes céréalières ont en effet été particulièrement fortes ces dernières années. Il faut dire que ces années ont été peu productives. Heureusement, l'armée est toujours priorisée et nous disposons à ce titre de réserves d'une grande régularité d'une année sur l'autre. Le fait que nous occupions une place forte aide par ailleurs à dissuader n'importe quels pillards de grands chemins. Pour finir, les canaux souterrains nous apportent toute l'eau dont nous pouvons avoir besoin. A ce stade, la population d'Olona se tient tranquille. Tant qu'elle sera docile, la situation sera gérable. Dans le cas contraire, une émeute reviendrait à ouvrir nos portes béantes à l'ennemi. Si j'ai bien retenu quelque chose de mes années d'apprentissage à l'armée, c'est que le facteur humain est irrémédiablement le plus instable et de ce fait, le plus incontrôlable. Prétendre qu'il peut faire basculer une position favorable en son parfait opposé est loin d'être un euphémisme.

On frappe à ma porte.
- Entrez ! Dis-je sans lever le nez de mes papiers.
L'un de mes patrouilleurs s'avance, munit de son rapport de mission qu'il me tend. J'attrape le document et l'envoie valdinguer dans un coin de mon bureau qui n'a jamais été encombré à ce point de formalités administratives pompeuses et dénuées d'intérêt. Le petit rouleau rejoint sans ménagement ses confrères pour en nourrir l'espace trop important qu'ils ont pris au cours des quelques jours passés.
- Résumez-moi ça soldat. Ponctué-je sèchement, tout à mon analyse des événements actuels.
- Selon vos ordres, j'ai entrepris ma ronde hab...
Le troufion interrompt son rapport sous l'emprise de mon regard. J'adore la trouille que je peux susciter chez ces débiles. Mes doux petits pantins de bois. Je laisse s'écouler une multitude de secondes qui doivent lui sembler des heures, des heures où un malaise profond s'installe dans la pièce, des heures où j'assoie ma supériorité indéniable sur ce misérable con et son rapport de mes deux. Ce type est fascinant. L'action m'octroie tellement de distraction, et elles sont pour le moins rares depuis le début du siège, que je ne résiste pas à l'envie de faire durer mon plaisir. Je me redresse suffisamment pour caler mon dos au fond de mon siège, expression faciale inchangée, mains jointes et mes yeux fixés dans les siens. Je sens d'ici l'odeur de sa transpiration. L'attentive observation de son front me laisse tout à loisir de regarder de fines gouttelettes y perler. Leur nombre va croissant à mesure que son anxiété gagne en vigueur. Avant qu'il ne tente un balbutiement d'excuses dont je me contrefout, j'ajoute un sévère :
- Résumez...Soldat !
- Euh...Rien de nouveau à signaler Capitaine.
- Dégagez. Réponds-je aussitôt.

Les Sphères d'Ebesse                               Tome 1 - Épées forgéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant