Chapitre 3 : Suite 3

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Nous marchons une dizaine de minutes, poins liés dans le dos, avant d'arriver à la caserne. Elle est idéalement située puisqu'au centre de la cité, tout près de notre lieu de culte. Quand ce dernier est situé dans une ville, il est nommé « Carmac ». Il s'agit toujours d'un lieu dont le sol n'est recouvert que de végétation, afin de préserver notre contact avec la création de Ttocs. La caserne est plutôt importante compte tenu de la taille de la ville. Elle est pourvue d'une porte de bois massif double qui sert d'accès aux cellules, salles d'investigations et bureaux, et d'une autre bien plus grande sur la gauche du bâtiment pour la desserte des écuries. Par son statut, tout bâtiment militaire dispose de ses propres écuries, tout comme d'un forgeron. La bâtisse est dotée d'un étage ajouré de trois fenêtres à croisillons de bois, et de même au rez-de-chaussée. A chaque entrée est accroché le drapeau des patrouilleurs, un bouclier vert émeraude sur lequel sont croisées deux épées dorées, le tout sur un tissu blanc bordé à nouveau de vert. D'ailleurs, le tabard des miliciens est identique à leur étendard. Notre escorte nous fait presser le pas et nous arrivons enfin aux pieds de la caserne à colombages. On nous fait avancer tous trois dans une cellule aux épais barreaux de bois, que je compte au nombre de cinq.

Plusieurs heures s'écoulent avant que Sijah ne fasse son entrée.

- Et bah c'est pas trop top ! Vous allez p'tet pouvoir nous dire ce qu'on fait enfermé là ? Lance Jispär d'un ton las et bourru.

Le Capitaine marque un bref temps d'arrêt, affichant un regard sombre, ses yeux glacés rivés dans les yeux de mon ami. Sans daigner nous gratifier du moindre mot, il passe son chemin et s'enferme dans ce qui semble être son bureau.

A en juger par les tiraillements qui proviennent de mon estomac, j'en déduis qu'il doit être au moins treize heures quand on daigne enfin nous porter de l'intérêt.

- Monsieur LETRO ! Le Capitaine HAUKIH va vous recevoir !
M'adresse nonchalamment un soldat en glissant bruyamment la clé de notre cellule dans la serrure.

Le bureau de Sijah est exigu et plutôt sombre malgré la fenêtre à grands carreaux. La décoration y est inexistante, passablement comblée de petits meubles de qualité très moyenne pour un homme de sa condition. A vrai dire, son lieu de travail est moins reluisant que les cabinets de ma grand-mère, et cependant, éminemment propres. Exempt de toute forme de politesse, il m'ordonne de m'asseoir sur le siège à accoudoirs lui faisant face. Ce que je fais. Au-delà du gain de confort immédiat si je fais le parallèle avec ma cellule, je dois reconnaître que cet un homme qui inspirerait le respect à bien des téméraires.

- Si mes informations sont exactes, vous avez vingt-neuf ans c'est bien cela ?
- Et ?
- C'est donc cela...Et celui de vos compagnons ?
- Je ne comprends pas l'intérêt de ces questions Capitaine...
- Monsieur LETRO, je ne saurai que vous suggérer de tempérer votre impudence. Vous avez suffisamment de bagages pour faire un séjour prolongé en prison ou en camp de travail, et moi j'ai assez de pouvoir pour orner mon bureau de votre buste empaillé. J'espère être clair ?

Après un fugace temps de réflexion, j'acquiesce.

- A la bonne heure...Je compte vous proposer un marché. Si vous l'acceptez, il pourra vous protéger, pour un temps tout du moins, des nouvelles lois en vigueur, tout en vous permettant de bénéficier des services sanitaires et alimentaires des forces armées de Fréomne. Si vous refusez, vous devrez vous soumettre à la loi de notre vénéré Roi, GUIEN Priahd, ainsi que vos deux lèche-bottes.
- Je vous écoute...
- J'ai le plaisir de vous annoncer que vous et vos amis venez d'intégrer la Milice de Jais. Je compte évidemment sur votre discrétion quant à la nature de votre réelle mission.
- Vous l'avez Capitaine ! Mais...qu'est-ce-que la « Milice de Jais » ?

Sijah déploie un sourire triomphant, emprunt d'une incommensurable fierté personnelle.

- Il s'agit d'un bataillon de trente soldats, répartis un peu partout sur le grand continent. Il est aussi bien chargé de manœuvres d'espionnages que de sabotages ou de meurtres. Le tout au service du Roi. Nous sommes en quelques sortes le troisième bras armé de la Royauté de Fréomne, que j'ai le privilège de commander. Trève de bavardages, chaque minute compte. Je vous mandate pour une mission interne. Je veux que vous me rapportiez des informations sur la déportation massive et systématisée des jeunes hommes du Royaume.Suivez les convois, enquêtez, et ramenez-moi des preuves. Vous trouverez de quoi vous restaurer dans la cuisine accessible par la porte voisine de la mienne, puis partez sans attendre. Le convoi d'Olona est parti cette nuit.
- C'est tout ?
- C'est tout ce que vous avez besoin de savoir. Vous remettrez ce document au greffier dont le bureau fait office d'accueil de la brigade. Il fera sortir vos compagnons pour que vous puissiez signer vos engagements dans l'armée. Rompez soldat !

Moi qui est horreur de l'autorité, me voilà enrôlé de force dans une milice parallèle. Une petite voix intérieure me souffle que c'est un mauvais choix, mais avais-je vraiment le choix ? Si la tournure des événements ne tourne pas en ma faveur, je pourrais toujours déserter après tout !
Suivant les ordres donnés, je me présente au gringalet pré-pubère qui semble faire office de greffier et lui tend le document manuscrit de Sijah. Il le parcourt rapidement et fait signe aux gardes d'amener mes comparses à son bureau.

-Signez ici, ici et ici Messieurs ! Nous indique-t-il d'une voix nasillarde.
- Je peux savoir ce que je signe au moins ? Interroge Belëoth.
- Mon ami, signe, c'est ce qui nous attend de mieux actuellement. Lui répondis-je.

Indépendamment d'une manifeste réticence, ils paraphèrent tous deux les documents qui nous liaient désormais à vie à l'armée.

Les Sphères d'Ebesse                               Tome 1 - Épées forgéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant