8. Vanessa

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12 Octobre 2020 – Ploërmel

Écrire quelque chose sur soi. Ça a l'air tellement simple. Je suis une fille. J'aime la couleur rouge. J'aurais aimé avoir les yeux bleus mais je les ai noirs. Il y a tant de choses que je pourrais dire sur moi. Mais combien aurait réellement un intérêt. Qui suis-je? Où vais-je? Tant de questions sans réponses, surtout quand on se laisse porter par la vie. Mais essayons de trouver certaines réponses.

Qui suis-je? Je m'appelle Vanessa. Je suis serveuse dans un petit restaurant. Ma vie est stable, je ne vis pas de grandes aventures, j'ai un toit sur la tête et le frigo plein. Et même si mon compte vire au rouge à chaque fin de mois, je n'ai pas à me plaindre. Ce que j'ai aujourd'hui est déjà plus que ce que j'ai pu avoir par le passé. Non, bien sûr, je n'ai jamais été à la rue, mais je ne savais jamais si je dormirais au même endroit le soir même. Tout dépendait d'eux en réalité.

Je suis née sous X. Il y a dix-huit ans. Je ne sais pas pourquoi mes parents m'ont abandonnés, et je ne le saurais certainement jamais. J'ai arrêté de chercher. Cela me faisait plus de mal que de bien. D'après les dires, j'ai passé les six premières années de ma vie en orphelinat. Je n'ai pas dus en être traumatisée puisque je n'en garde aucun souvenir. Mais la suite, je m'en rappelle très bien.

Ma première famille d'accueil était très gentille. Bruno et Cécile avaient déjà une fille de mon âge, Anna, avec laquelle j'étais devenue amie. Je me sentais bien avec eux et, même si je n'étais pas de leur famille, ils me traitaient de la même façon qu'Anna. Nous n'étions pas sœurs de sang, mais il était certain que nous l'étions par le coeur.

Les années passèrent et à l'aube de mon adolescence, un drame se produisit. Bruno m'avait déposé au collège avant de partir au travail. D'habitude, c'était Cécile qui s'en chargeait mais elle devait emmener Anna chez le dentiste. La matinée se passait comme d'habitude, et je m'appliquais à recopier les cours de ma sœur dans ses cahiers. La maîtresse finit même par me photocopier directement tous les exercices de la journée afin que je les colle dans le cahier d'Anna pendant les récréations.

Le directeur en personne vint me chercher alors que je faisais la queue pour la cantine. A son expression, je compris rapidement qu'il y avait quelque chose de grave, mais je ne savais pas quoi. Stressée, je le suivis en silence jusqu'à son bureau.

Bruno y faisait les cents pas. Je me suis arrêtée devant le cadre de la porte et il m'a regardé avec tristesse. Ses yeux étaient remplies de larmes qu'il essayait de contenir. Sa bouche étirée dans une grimace qu'il tentait de masquer. Il ouvrit la bouche, laissant échapper un sanglot.

-Cécile et Anna...un accident de voitures. Elles...elles...

Les larmes coulèrent sur mes joues, pâle imitation de celles s'échappant des yeux de celui que j'avais toujours considéré comme mon père. Comme un automate, je me suis approchée de lui et l'ai pris dans mes bras, le serrant de toutes mes maigres forces. La tristesse avait tout ravagé en moi. Si bien qu'en quelques minutes, j'étais devenue une coquille vide. Mes larmes disparurent aussi vite qu'elles étaient apparues. La douleur réduit à un simple nœud au creux de l'estomac.

-Monsieur, demandai-je d'une voix calme qui me surpris autant qu'elle m'effraya, est-ce que je peux m'absenter cet après-midi? Je..J'aurais besoin que l'on me fasses des polycopié et...certainement aussi pour les trois jours à venir.

Il me regarda étrangement et balbutia son accord. Je le remerciai et forçai mon père à se lever. Nous rentrâmes à la maison où Bruno alla directement s'enfermer dans son bureau. Ce fut la dernière fois que je le vis. Les jours et les semaines passèrent sans qu'il ne daigne seulement sortir. Où en tout cas en ma présence. J'appris à me débrouiller seule et déposai régulièrement ses repas devant sa porte. Parfois, le plateau se vidait et je pouvais considérer ces journées comme étant réussis.

Mais plus le temps passait, plus il était difficile de prétendre que tout allait bien. A l'école, les adultes me posaient de plus en plus de questions sur la maison et je restais toujours vague. Mais un jour, une assistante sociale vint faire un contrôle. Quelqu'un lui avait parlé de notre situation et avait émit des doutes quand à la stabilité de Bruno.

Il fut jugé inapte à m'éduquer et ma garde lui fut retiré. A douze ans, je retournai dans le cercle infernale de la DDASS. Les familles d'accueil s'enchaînèrent, et je devenais de plus en plus turbulente. J'étais en colère, et je ne voulais pas rester chez ces gens que je ne connaissais pas. Trois ans et pas moins de dix familles différentes. J'avais parcouru la moitié de la France, changeant de collège deux à trois fois par an.

A mon entrée au lycée, j'appris dans les faits divers que Bruno s'était suicidé. Il avait été mis en hôpital psychiatrique deux ans plus tôt suite à d'autres tentatives. Il a suffit d'une seconde d'inattention et d'une fenêtre ouverte au sixième étage pour qu'il se donne la mort.

Je n'avais plus personne. Plus aucunes attaches. Nul part. Un an après, je demandai mon émancipation. A seize ans, je devenais une adulte à part entière. Je réussis à trouver un job de serveuse dans un petit restaurant où je continue encore aujourd'hui à travailler.

J'aimerais voyager, parcourir le monde, faire de nouvelles rencontres. Peut-être même trouver mon âme sœur...Mais je n'ai pas encore trouvé le courage de tout quitter. J'ai peur de ce que je pourrais découvrir. Peur d'être déçue. Mais je ne sais pas. Ce cahier...Il me redonne de l'espoir. L'espoir d'un autre jour. Et les mots qui j'y ai lu...J'ai envie d'en savoir plus.

Que sont devenues toutes ces personnes ayant écris avant moi? Et ce Julian? Nous vivons dans la même ville...Peut-être que je pourrais le retrouver et...Je ne sais pas. Quelque chose m'intrigue chez lui, c'est certain mais...Comment le retrouver? Et que lui dirai-je? Je ne sais même pas à quoi il ressemble. C'est complètement ridicule. Pourtant...



Vanessa referma le cahier, le cœur battant à tout rompre. Ce qu'elle s'apprêtait à faire était une pure folie, elle le savait bien. Les risques étaient dangereux. Elle pourrait très bien tomber sur un taré qui la violerait ou la prostituerait dans un pays étranger. Elle pourrait également se faire tuer ou torturer. Peut-être même les trois en même temps. Mais étrangement, elle s'en fichait.

Mue par le frisson de l'aventure, Vanessa s'empressa d'emballer ses maigres affaires dans un sac à dos. Elle utilisa pour la dernière fois sa photocopieuse et récupéra les pages de Julian qu'elle venait d'imprimer. La jeune fille se prépara rapidement quelques provisions non périssable et, après une minute d'hésitation, quitta définitivement son appartement.

Le jour se levait à peine quand la jeune fille déposa le cahier dans la boîte à livres. Elle le regarda un instant, se mordant la lèvre et fit demi-tour. Vanessa soupira. Ploërmel n'était pas une ville si grande que ça après tout. Et les prostitués hommes ne devaient pas y courir les rues. Confiante, la jeune femme entreprit de passer la ville au peigne fin.

Après tout, ce n'était pas comme si elle était pressée par le temps. Personne ne l'attendait à la maison. Et jamais plus on ne l'attendrait où que se soit.

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