9. Alicia

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Les cris des enfants parvenaient aux oreilles d'Alicia, lui mettant les nerfs à vif. Elle regarda Léa, sa fille cadette, hurler à s'en déchirer les cordes vocales tandis que Tom tentait de lui arracher la pelle des mains. Plus loin, Maxime jouait tranquillement au toboggan. Soufflant avec humeur, elle tenta de reprendre sa lecture. Ce livre était pour le moins étrange. Quand elle l'avait trouvé dans la boîte à livres, Alicia en avait été réjouie. Un cahier en aussi bon état pouvait servir à Léa l'année prochaine. Mais elle avait rapidement déchanté en ouvrant les premières pages.

Elle avait tout de même décidé de le garder. Il fallait bien occupé son temps pendant que les enfants jouaient. Alicia avait alors envoyé négligemment le cahier au fond de son sac et avait entraîné ses enfants vers le parc. Les voyant ainsi se chamailler, la mère de famille hésita un instant à intervenir, mais à quoi bon se fatiguer ? A peine aurait-elle regagné le banc que ses trois chenapans reprendraient là où ils s'étaient arrêtés. Non. Vraiment, elle n'avait pas d'énergie à perdre pour des broutilles.

Alicia reprit sa lecture. Si Léa et Simone l'avaient touchés, Julian et Vanessa l'avaient complètement chamboulée. A la fin de sa lecture, la jeune femme essuya ses yeux embués par l'émotion et referma le cahier avec précaution. C'était à elle d'écrire quelque chose maintenant, et elle était bien décidé à suivre les règles à la lettre. Mais pas maintenant. Comment pourrait-elle écrire quoi que se soit avec les trois monstres hurlant dans ses oreilles ? Regardant sa montre, elle constata avec soulagement que l'heure du repas était arrivé.

_ Léa ! Maxime ! Tom ! Venez les enfants, c'est l'heure de manger !

Comme elle s'y attendait, aucun des trois ne daigna ne serait-ce que lever la tête vers elle. Alicia se mordit la lèvre, refoulant sa colère naissante et se leva. Elle rassembla les affaires et fit trois pas en direction de la sortie du parc. N'ayant aucune envie de se battre contre eux aujourd'hui, elle utilisa une technique qu'elle aimait particulièrement.

_ Très bien ! Au revoir Léa, au revoir Maxime, au revoir Tom. Maman s'en va.

Joignant le geste à la parole, elle se retourna, prête à reprendre sa route. En entendant les appels paniqués de ses enfants et leurs petits pieds foulant d'un pas rapide les gravier, Alicia ne put s'empêcher de sourire. Il est vrai que ses méthodes pouvaient parfois être discutables, mais elles avaient au moins le mérite d'être radicales.

Elle attacha au poignet de Léa un bracelet de sécurité qu'elle relia au sien et prit fermement les mains de Tom et Maxime. Ignorant leurs protestations et caprices, elle les força à avancer jusqu'à la sortie du parc. Tout les jours, elle avait le droit au même cinéma. Heureusement, d'ordinaire il y avait l'école qui lui permettait de souffler un peu, mais pas aujourd'hui. Ni demain. Ni après demain...

Alicia soupira une nouvelle fois, calculant mentalement combien de jours il restait avant la fin des vacances de la Toussaint. Une semaine. Six longs jours...sept si elle comptait aujourd'hui. Si cela passerait en un éclair pour ses enfants, Alicia quand à elle n'en voyait pas le bout.

De retour chez eux, la jeune mère prépara quatre assiettes de riz avec de la ratatouilles qu'elle mit à chauffer. Elle dressa ensuite la table et appela ses enfants qui avaient réinvesti le salon à peine la porte d'entrée passée. Elle ouvrit de grands yeux en observant le carnage qui régnait dans sa pièce à vivre et ferma les paupières. Elle avait fait en sorte que tout soit propre et rangé avant leur départ. Comment avaient-ils pu tout renverser en à peine cinq minutes?

Alicia ravala ses larmes et plaqua un sourire sur son visage. Comme d'habitude, ses enfants ne mangèrent pas la moitié de leur assiette, et elle se vit de nouveau contrainte de marchander des cuillerées Exaspérée, elle commençait à perdre patience. Jour après jour, inlassablement, elle vivait la même routine, les mêmes bagarres, les mêmes négociations, comme une boucle dont jamais elle ne se déferait.

Le repas se termina dans les cris et les larmes. La moitié de la nourriture abandonnée sur le sol, Alicia débarrassa les couverts et expédia ses enfants au lit.

_ Maman, une histoire s'il te plait, lui demanda Léa de sa petite voix.

La jeune mère grogna. Elle aurait préféré les laisser s'endormir et vaquer à ses occupations, mais comment leur refuser ça? Ce n'était juste pas possible. Et si elle le faisait, elle serait certainement la pire des mères. Non. Elle ne pouvait rien faire d'autre que capituler. Ainsi, elle attrapa le premier livre de la bibliothèque et s'installa à côté de sa fille. Elle fut rapidement rejoint par les garçons qui se disputèrent pour avoir la dernière place vacante à côté de leur mère.

Au bout de dix minutes de bagarre, Alicia commença enfin son histoire. Au final, elle avait installé Léa sur ses jambes et les garçons se collaient à elle de chaque côté. La mère de famille était tellement fatiguée qu'elle songea un instant à s'endormir avec ses enfants, mais la montagne de ménage qui l'attendait l'obligea à revoir drastiquement ses projets.

Une fois l'histoire terminé, elle laissa ses enfants s'endormir seuls et entreprit de nettoyer la cuisine. Une fois la vaisselle faite, elle s'attaqua au sol. Avec trois enfants, elle était obligée de frotter deux fois par jour. De nouvelles larmes lui brûlèrent les yeux, sans pour autant s'échapper, tandis qu'elle pensait à tout ce travail qui, trois heures plus tard, serait réduit à néant.

Une heure plus tard, elle se laissa enfin tomber sur le canapé. Épuisée. Elle ferma les yeux un instant, savourant le silence qui l'entourait. Ces moments étaient tellement rare désormais qu'elle en appréciait chaque seconde. Elle qui, adolescente, ne pouvait vivre sans avoir de la musique dans les tympans avait décidément bien changé.

Ouvrant les yeux, elle attrapa le cahier qu'elle avait trouvé le matin même et l'ouvrit, parcourant à la diagonale les lignes qu'elle avait lu quelques heures plus tôt. Elle n'avait aucun doute sur le sujet qu'elle allait traiter et attrapa un stylo. Alicia ne se posa même pas la question de savoir à qui profitait ce cahier, ni d'où il venait, ni son but. Elle voulait se plaindre, et quelqu'un lui offrait cette possibilité sans contrepartie. C'était tout ce qui comptait. Elle n'avait pas besoin d'en savoir plus.

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