Chapitre 5 : Une invitation angoissante

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Kazuma avait passé un lendemain de spectacle extrêmement stressant. En effet, en plus de la fatigue et du travail accumulés au bar, son patron n'avait cessé de le harceler sur la façon dont il devrait se comporter lors du repas ainsi que les choses à dire ou non, bref, un vrai casse-pieds qui ne lui laissa de répit jusqu'au jour fatidique.

Afin de faire bonne impression, il s'était vêtu de son unique costume noir à chemise blanche, avait noué une cravate noire pour cacher le rosaire argent pendant à sa grosse chaîne en argent, que sa mère lui avait offert pour ses quinze ans. Il s'était coiffé les cheveux sur un côté, laissant apparaître une boucle d'oreille qu'il avait dû retirer sur les remontrances de son patron. Il portait des chaussures cirées neuves.

Lorsqu'il fut prêt, il sortit du bar afin de prendre le métro, mais une Berline blanche l'attendait garée devant. L'homme de main des Suzuki, qui devait être plus jeune que lui, lui ouvrit la portière et le laissa s'installer sur le siège confortable en cuir. Il était dix-sept heures et avait promis son retour avant minuit pour enchaîner avec son travail au club. Il se demanda comment il allait tenir le choc de cette semaine intense en émotion.

En proie à toute cette angoisse, il fut pris d'une horrible migraine. Se tenant la tête, il crut s'évanouir au moment où la voiture se stoppa dans l'allée d'une immense maison, à la fois moderne et traditionnelle. Le jeune Akito lui ouvrit de nouveau la portière, mais remarqua que quelque chose n'allait pas. Le garçon était très pâle à son goût et transpirait. Il lui demanda s'il avait mal quelque part et la réponse fut bien entendu « non » alors que son vis-à-vis se tordait de douleur en se tenant la tête. Il l'aida à sortir de la voiture et s'étonna de la légèreté du garçon. Cela changeait de son jeune maître. Arrivés devant la porte, le majordome leur ouvrit et écarquilla les yeux à la vue de Kazuma. Il s'empressa d'appeler de l'aide. Les bruits étonnèrent Nobuyuki qui attendait sagement dans la bibliothèque en compagnie de sa mère. Ils se précipitèrent dans l'entrée et virent l'état du jeune garçon.

- Amenez-le dans une chambre d'ami Akito, ordonna Mme Suzuki, je vais appeler le médecin de famille.

Nobuyuki aida l'homme de main à transporter Kazuma à l'étage bien que ce n'était finalement pas nécessaire étant donné le poids du danseur. Ils se regardèrent et se comprirent immédiatement. Ce jeune-homme était bien trop maigre pour sa taille. Une fois arrivés à la chambre, Akito le déposa sur le lit pendant que Nobuyuki fermait les rideaux et allumait une petite lampe de chevet.

Kazuma avait très chaud à la tête et y voyait flou. Bien qu'il reconnu Akito et Nobuyuki, il se sentit partir dans les limbes noirs de l'inconscient. La dernière chose qu'il entendit, fut la belle voix du fils du Yakuza lui disant de rester avec lui.

Quel misérable... se dit-il, tu n'es même pas fichu de faire bonne impression chez une famille importante de Yakuza et en plus tu tombes malade au mauvais moment... Tu es irrécupérable Kazuma, que vont-ils penser de toi... finit-il avant de sombrer.

Le médecin arriva à la hâte chez les Suzuki. Voyant Madame paniquée, il prit peur pour l'un d'entre eux, mais apprit qu'il s'agissait d'un invité. Il monta à la chambre et vit les visages inquiets du jeune maître et de son homme de main se tourner vers lui. Il était satisfait de constater que les jeunes-hommes avaient défait la cravate, déboutonné le haut de la chemise et le pantalon du garçon. Ses pieds étaient légèrement relevé par un oreiller. Il prit sa température qui n'était pas trop élevée. Sa tension était un peu faible après vérification, puis il défit sa chemise afin d'écouter le pouls au stéthoscope. Il remarqua bien que malgré sa musculature, ses cotes étaient très visibles. Il écouta alors au niveau de l'estomac et écarquilla les yeux. Nobuyuki toujours tourmenté, s'enquit de l'état du danseur.

- Mon diagnostique est clair, trop de travail acharné et manque de sommeil... annonça-t-il en rangeant ses affaires dans sa malle. Mais ce jeune homme souffre avant tout de mal-nutrition malgré sa forme physique et je dois vous avouer que je n'avais jamais vu ça, c'est un titan qui s'acharne et n'écoute pas son corps. En plus, j'ai pu remarquer à sa respiration et ses ongles qu'il fume. Je crains que son corps ne tienne plus longtemps s'il continue ce train de vie qui le ronge de l'intérieur depuis plusieurs années visiblement.
À part un changement catégorique de son mode de vie, je redoute qu'il meurt très jeune. Je ne connais rien de lui, cependant, je vous conseille de le confier à quelqu'un qui le prendra en charge rapidement...

Sous le choc, Madame Suzuki ne put s'empêcher de mettre la main devant la bouche afin de refréner les sanglots qui lui montaient à la gorge. Nobuyuki le sentit et la prit dans ses bras. Il chargea Akito de payer le médecin et de le raccompagner, après avoir remercié chaleureusement celui-ci.

Le fils du Yakuza se retenait de faire exploser sa rage, mais il ne put s'empêcher d'en faire part à sa mère.

- Cet homme est perfide ! Il fait croire à tout le monde que Kazuma est sa pupille alors qu'il le traite comme un moins que rien malgré son travail. Mère, je ne peux pas laisser passer ça, et si vous le permettez, j'aimerais prendre soin de lui. Ce n'est pas seulement l'amour que je lui porte qui parle, je sais une chose que vous ignorez... Kazuma n'a pas de famille, cet idiot de Yamamoto me l'a confié la première fois que je suis venu en se faisant passer pour un saint, mais j'avais déjà bien décelé sa cupidité. S'il vous plaît Mère, il faut convaincre Père, je suis sûr que Kazuma saurait nous rendre la pareille... 

Le silence se fit après sa longue réplique. Sa mère, toujours dans ses bras avait l'air de réfléchir. Elle brisa le silence et se détacha de son fils en lui disant qu'ils devaient se rendre immédiatement dans le bureau de son mari pour en parler, avant que Kazuma ne revienne à lui.

Arrivés devant le bureau, Nobuyuki vit, avec étonnement, sa mère prendre une grande inspiration et souffler avant de toquer à la porte. Une voix rauque leur dit d'entrer. Monsieur Suzuki s'occupait de plusieurs dossiers avec de la musique en fond. Le fils reconnu la musique de Merry Christmas Mr Lawrence de Ryuichi Sakamoto. Le Yakuza leva les yeux vers les membres de sa famille et s'étonna du silence tendu de sa femme. Il leur demanda ce qu'il se passait et connaissant Madame Suzuki, le calme ne tarda pas à être brisé. Elle lui expliqua la situation du danseur pendant qu'il l'écoutait avec attention.

- Amasa, l'interpella-t-il lorsqu'elle eut terminé sa tirade, nous n'allons pas recueillir tous les jeunes garçons du Japon qui ont des problèmes personnels, je suis un Yakuza, pas une bonne Sœur ou une assistante sociale... se moqua-t-il.

- Sauf votre respect Père, vous vous moquez mais en attendant ce jeune homme est chez nous et est plein de qualités que vous ignorez, intervint Nobuyuki sans avoir l'autorisation de parler.

Cela mit son père en colère et Madame Suzuki tenta de le calmer en adoucissant l'atmosphère électrique. Elle pria son mari de pardonner la fougue protectrice de leur fils en lui rappelant qu'il était pareil à son âge. Il lui rétorqua qu'elle avait toujours le mot qu'il fallait pour le défendre lui plutôt que de prendre le parti de son mari.

- Détrompe-toi Eikichi, je prends toujours le parti de la justice et dans ce cas-là ton fils a raison, parla-t-elle calmement. Nous ne pouvons pas laisser ce jeune-homme retourner à son travail d'esclave courroucé par son tyran de patron ! 
À ce propos, n'était-ce pas à Nobuyuki de prendre ta succession dans ces quartiers du territoire ? rusa-t-elle.

- En effet, nous devons en parler quand j'aurais terminé ces dossiers. En attendant, quand il sera en état, je veux que nous prenions le repas tous les quatre comme convenu et je déciderai moi-même de son sort que vous le vouliez ou non ! 

Ce qui clôtura définitivement la conversation, reprenant à nouveau ses dossiers, faisant comprendre à sa femme et son fils qu'ils devaient disposer, et vite.

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Bonjour, bonsoir, ci-dessous la musique de Ryuichi Sakamoto... :3

Une histoire de YakuzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant