Outbreak

10

Samson soupira.

La boule blanche fila à toute vitesse à travers le tapis pour aller percuter le triangle de billes qui éclata avec un cliquetis sec. Il y eu une exclamation, et le duc recula de quelques pas, fier de son jeu. Trois boules colorées venaient d'être projetées dans différents trous de la table de billard.

— Joli coup, lâcha Samson, vautré dans un fauteuil.

La tête renversée en arrière, il n'avait pas vu une seconde de son action, et il s'en moquait. Il était épuisé de veiller ainsi tard, à admirer le fleuron des aristocrates de la Haute Ville dilapider leur fortune dans ces salons mondains. Pourtant, il était là, chaque soir. Un sourire poli aux lèvres, il complimentait, félicitait, faisait la révérence et semblant d'être à sa place entre deux tables de divertissement. Il devait se montrer. Faire comme ces autres qui perdait leurs temps à ne rien faire. Brûler ses nuits dans des discussions vides de sens, à voir passer sa vie entre deux cartes de jeu. Avec un haussement d'épaule, Samson préférait ne pas y réfléchir.

Il faisait partie du Casino Palace.

Il n'y avait rien de plus à comprendre.

Toujours immobile, le cou brisé sur le dossier, il se laissait étourdir par les danseurs virevoltant dans la salle d'à côté. Voir le monde à l'envers le fascinait. Les robes satinées des femmes caressaient le plafond, l'époussetant avec vigueur, tandis que les chaussures pointues de ces messieurs y dessinaient d'amples arabesques. Les imposants lustres qui éclairaient la pièce poussaient du sol, immenses fleurs lumineuses. Hypnotisé par le ballet manégé des invités, Samson s'assoupissait, quand une main se posa sur son épaule. Il sursauta et baissa si vite la tête qu'il manqua de cogner le front de Jacob, penché vers lui.

— Je m'excuse de vous réveiller, s'empressa-t-il de dire, confus.

— Je ne dormais pas.

— Ah ? Que faisiez-vous dans cette... étrange position ?

— Quelle position ?

Il y eut un bref silence. Jacob le dévisagea, perplexe, partagé entre le rire et la gêne. Passant une main dans sa nuque désormais douloureuse, Samson balaya la salle de billard d'un œil ennuyé, avant de croiser les jambes et de lever le nez vers le duc. L'homme se balançait, se hissant sur la pointe des pieds, nerveux. Samson s'amusa de ses airs enfantins.

— C'était une belle partie, commenta-t-il.

— Vous n'avez rien regardé !

— Mais cela fait des années que je vous regarde jouer ! Je n'ai même plus besoin d'ouvrir les yeux, je sais que vous gagnerez.

Jacob rougit, aussi flatté que mal à l'aise. Il s'apprêtait à dire quelque chose, mais se ravisa, préférant lancer avec enthousiasme :

— Si vous vous ennuyez tant, pourquoi ne pas faire une partie avec nous ?

— Je n'ai plus rien à parier !

Le duc esquissa une grimace désolée, mais ne put s'empêcher de jeter des œillades méfiante autour de lui, inquiet que d'autres puisse les entendre. Dans ce nid à vipères, il était très mal vu d'être sans le sou. Les héritiers ruinés faisaient la honte de leurs pères, ainsi que du royaume. La Cité en regorgeait, mais la haute société les étouffait sous ses immenses tapis de velours. Jacob lui adressa un sourire embarrassé. Il reculait pour rejoindre les autres parieurs autour du billard, quand Samson lui attrapa le bras. Jacob, surpris, blêmit.

— Vous aviez quelque chose à me dire ?

— Oh ! Rien d'important, je...

— Jacob, le coupa Samson, en lui adressant un regard entendu, je vous connais par cœur. Dites.