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Noé leva les yeux au ciel.

Flânant sans occupation sur la grande place, les habitants discutaient, se dévisageaient à voix basses. Riant pour un rien, s'effrayant pour peu de chose, ils vivaient dans l'oisiveté, ignorant l'horreur qui serpentait le long des murs de la Basse-Ville.

Les mains dans les poches, Noé fendait la foule d'une démarche autoritaire. Engoncé dans son uniforme de Corbin, il portait son masque, dissimulant son visage derrière ce bec de cuir noir. Plongé dans cet océan de pantins aux traits trop lisses, Noé était une ombre, discrète mais dérangeante. Une présence presque invisible qui, pourtant, ne pouvait être oubliée. Il faisait partie de ceux qui n'avaient leur place nulle part. Les monstres de la Haute-Ville. Les damnés de la Ville-Basse.

Oiseau de malheur, il était de mauvaise augure au sein de la Cité.

Se détournant des regards de travers que les passants lui adressaient, Noé accéléra le pas en direction du palais royal, dont les toits dépassaient de derrière les vieux bâtiments qui s'entassaient dans le centre de la Haute-Ville. La demeure du Roi était un étalage complexe et prétentieux des richesses de la Cité. Entièrement construit en verre, cet édifice dans lequel se mêlaient tours, ponts, salles de bals, chambres, salons et autres pièces plus sombres, comme des cellules et une salle de torture, n'étaient qu'un dédale de couloirs interminables. Le cristal avait été sculpté par-dessus la pierre d'origine pour que le palais capte les rayons du soleil, symbole de l'éclatante prestance du royaume.

Les caprices architecturaux du souverain avaient coûté une petite fortune à la Cité et avaient plongé le peuple dans la famine. Noé se souvenait encore du jour où il avait découvert l'extravagant château, scintillant sous l'intense lumière. Il était resté de marbre. La faim qui le rongeait depuis presque un mois s'était évaporée, remplacée par une rage presque animale. Une envie de violence.

Le désir viscéral de tout détruire.

Le palais n'était à ses yeux qu'un gaspillage de ressources et de talents, plein d'orgueil et de naïveté maladive.

Noé poussa un soupir et entreprit de gravir les nombreuses marches menant au palais sous les regards inquiets des passants. Ils se demandaient sûrement ce qu'un homme d'aussi basse fréquentation faisait ici. Ils ignoraient que c'était à cet homme-là qu'ils devaient l'éternelle tranquillité de leur quotidien. Noé eut un sourire mesquin. Au fond, ils savaient tout ce qu'ils devaient aux Corbins, mais ils préféraient faire semblant de l'avoir oublié.

Faire semblant. C'était ce qu'ils faisaient de mieux.

Lorsque Noé arriva devant les portes du palais, il sortit ses mains de ses poches et retira l'un de ses gants pour montrer aux gardes la chevalière en argent qui enserrait son index. La bague des Ambassadeur de l'Ordre. Son passe-droit. Il fut escorté jusque dans les sous-sols du château, là où le Roi recevait les Corbins, loin des regards indiscrets. Puis, on lui demanda de patienter. La longue table et la dizaine de chaises qui l'entouraient disparaissaient dans l'obscurité.

Noé ferma les yeux, profitant de ce bref instant de solitude, puis ôta son masque. Passant une main sur le cuir abîmé, il l'examina malgré lui. Le gris sombre qu'il arborait lui rappelait les cendres qui s'échappaient parfois de l'autre côté des murs. Un sourire dépité étira ses lèvres.

Les Hommes étaient idiots.

Et les idiots ne l'emportaient jamais.

Ils s'étaient crus capables de dompter la Rouille et elle les avait mis en cage. Bien à l'abri derrière leurs hautes murailles, ils se terraient comme des bêtes effrayées, espérant que l'épidémie s'éteigne d'elle-même. Ils étaient faibles et, pourtant, si prétentieux. La Rouille était un animal affamé que rien, pas même la fin du monde, ne pourrait satisfaire.

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