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Ruth retint son souffle.

Un éclair de lumière glissa le long de l'aiguille, l'éblouissant. Elle secoua la tête. Un liquide bleuté, translucide, remplissait la seringue. Noé lui attrapa le bras. Son cœur s'emballa et des sueurs froides perlèrent dans son dos. Ruth recula, tenta de s'arracher à lui, mais il la tira en avant. Jonas posa une main sur son épaule et lui sourit. Entre ses doigts gantés, l'aiguille tournoya. Ruth ouvrit la bouche. Son sang ne fit qu'un tour.

La Bête prit le dessus.

Ruth poussa un cri rauque. D'un coup de pied, elle envoya valser la seringue qui explosa contre le parquet. Échappant au Corbin, elle se jeta contre Jonas, envoyant un coude dans son ventre pour le faire basculer à l'arrière. Il battit des bras, se rattrapa sur la table basse et balaya la lampe encrassée qui se brisa par terre. Il y eut un silence ahuri. Puis Delilah se pressa d'aider Jonas à se redresser, tandis que Noé, soudain vidé, fixait la flaque d'huile qui s'épaississait, s'infiltrait entre les lattes, épreignant le bois de son odeur entêtante. Il semblait ailleurs. Mais lorsqu'il braqua son regard sur elle, Ruth sut qu'elle avait remué quelque chose en lui.

Ses iris bleues, liquides, bouillonnaient.

Ruth chercha l'entrée des yeux, la trouva, mais ne put s'empêcher de revenir à lui, à ce regard, comme happée par ses reflets chatoyants. Son cœur battait trop vite, trop fort, à lui faire mal. Elle devait s'enfuir. Maintenant. Mais avant qu'elle ne puisse esquisser un pas, Noé passa ses mains autour de ses poignets, deux bracelets de chair qui lui comprimaient les veines.

Il ne la laisserait pas se sauver.

Ruth sentit la colère affluer, l'étouffer. Furieuse, elle gronda, le repoussa, se contorsionna à s'en faire grincer les articulations. En vain. Le Corbin encaissait les coups, impassible. L'indifférence dans laquelle il s'enlisait la hérissa. Cette dénégation absolue lui fit horreur. Redoublant de violence, elle s'ébroua. Ses ongles griffèrent sa peau jusqu'au sang. Elle voulait lui faire mal. Et l'écouter hurler à la mort. Aboyer, comme un chien.

Mais il lui sourit.

Ruth vacilla. Un parfum de déjà-vu l'écœurait. Des larmes amères noyèrent ses yeux, gonflant ses paupières irritées. Le désespoir la traversa, soufflant le feu qui l'habitait et un poids, trop familier, lui tomba au fond de l'estomac. La gorge nouée, elle serra les poings pour masquer les spams angoissés qui crispaient ses doigts. Elle aurait aimé fuir, se terrer dans le coin d'une grotte, de son esprit. Se dérober à ce regard qui la terrifiait. Et elle s'en voulut d'être aussi faible. De leur avoir fait confiance, d'avoir baissé sa garde, ne serait-ce qu'une seconde, pour s'endormir.

Ils étaient tous pareils.

Avides de violence, avares en pitié. Et, toujours, elle les avait laissé faire. Ils l'avaient dépossédé de son corps, l'avait exploré, abîmé, troué de leurs aiguilles, découpé au scalpel. Ruth s'était tue, avait obéis. Elle s'était soumise à toutes les opérations, avait avalé leurs poisons et vaincu la fièvre, la douleur. Elle leur avait survécu. Du moins, jusqu'au jour où ces hommes en combinaison beige avait fait tombé les portes du laboratoire pour l'emmener loin, très loin de sa petite chambre. Ils l'avaient enfermée dans un autre laboratoire, entre quatre murs tout aussi blancs et les mains de nouveaux médecins, encore plus cruels. Ruth leur avait survécu, encore quelques semaines avant que les portes se rouvrent sur d'autres hommes, masqués et armés, qui l'avaient jeté dans la cale d'un navire. Eux ne l'avaient pas touché. Ils s'étaient contenté de la dévisager, répugnés. Puis, dans le creux des ombres, Noé lui avait pris la main.

Et Ruth s'était crue sauvée.

Sa mâchoire claqua dans le vide. Le sang battait ses tempes, l'assourdissait. Et tandis que Noé libérait l'un de ses poignets pour esquiver une seconde morsure, la Bête refit surface. Elle s'engouffra dans la faille et frappa. Ruth enfonça ses ongles cassés dans sa peau blême de sa gorge, découverte. Noé lâcha un petit cri étranglé. La surprise qui luisait dans le fond de ses yeux lui arracha un sourire féroce. Galvanisée par l'odeur de peur, si familière, qu'il dégageait soudain, Ruth se retourna juste à temps pour voir Jonas s'approcher.

OutbreakOù les histoires vivent. Découvrez maintenant