Chapitre 3

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Finalement, son manque d'intérêt pour l'univers de l'adolescent lambda ne pouvaient être qu'une bonne chose. Le maquillage, les histoires d'amour, les jeux vidéos, les virées shopping, la musique... l'indifféraient. Elle n'aimait pas les bonbons, le chocolat, les friandises, ou quoi que ce soit de sucré. Les cours l'intéressaient. Parfois. Elle n'avait pas de projet d'avenir, de but, d'objectif, d'ambition. Elle honnissait les boites, les fêtes, et l'alcool qui lui faisait perdre ses sens. 

Elle n'aimait rien de ce que les gens aimaient. 

Secouant la tête dans une tentative manifeste de s'extirper de ses pensées, la jeune fille ramassa son tee-shirt pour mieux le jeter sur une pile de linge, apparement sale, dans un coin de la pièce. Elle décida qu'elle n'en avait pas grand chose à faire de sentir mauvais devant l'éventualité de devoir mouiller sa blessure sous la douche. Alors qu'elle ouvrait son placard à la recherche d'un nouveau tee-shirt, son regard se posa sur ses affaires de piscine. Soudaine réalisation. Demain. EPS. Piscine. Bobo. Pas de dispense possible. Problème. 

Oui mais... problème demain. Chaque chose en son temps, estima-t-elle en enfilant haut et se dirigeant vers la porte. D'abord, pallier à l'urgence : manger. Elle dévala donc l'escalier en faisant le moins de bruit possible. Une étrange sensation d'oubli lui flottait cependant derrière la tête, mais avant qu'elle prenne le temps de l'analyser, elle heurta de plein fouet Mme Yloix, surgie d'un coup sur le palier. Mme Yloix avait une bonne figure débonnaire et des cheveux roux en perpétuel désordre. C'était également une des dames de l'orphelinat que l'adolescente appréciait le plus. 

- Swanya ! Te voilà enfin ! Où étais-tu donc passée encore ! Je suis passée ce matin à 8h comme d'habitude, ajouta-t-elle en baissant la voix. Tu n'étais nulle part ! J'ai été obligée de prévenir les autres... Nous avons passé les dernières heures à te chercher !  Tu n'étais nulle part ! Ah ça, tu as de la chance que ce soit moi qui te retrouve, car j'en connais qui sont de très mauvais poil d'avoir été réveillées à cause de toi, et qui t'aurais fait passer un sale quart d'heure !

La jeune fille ne pu s'empêcher de fixer sa gardienne d'un regard fixe et insolent, sans répondre. Immédiatement, elle regretta cette posture de défense qui était désormais devenu un automatisme. Elle avait parfaitement conscience qu'un air contrit aurait été plus approprié. 

Devant son mutisme, Mme Yloix soupira : 

- Swan, j'essaie de t'aider, là. Dis-moi où tu étais.  

Les rouages du cerveau de la brune fonctionnaient à plein régime. Rien. Rien de crédible de lui venait à l'esprit. Voilà ce qu'elle avait oublié : trouver une excuse un tant soit peu plausible. 

-Je...je suis allée aux toilettes et puis... Il y a cette nouvelle série de BD, tu sais, je crois que c'est le nouveau jardinier qui les a ramenées. Enfin, il y a plusieurs tomes et je crois que je me suis un peu laissée emportée.

L'excuse était bancale, mais crédible. Depuis sa naissance, la jeune fille avait dû cultiver l'art du mensonge. Elle savait doser les hésitations, mimer la peur, le repentir et le regret à la perfection. Cette fois-ci ne fit pas exception à la règle, et la surveillante acquiesça en lui faisant signe de partir. 

Elle repris sa route en direction du réfectoire du personnel, car les purées et autres bouillies réservées aux autres orphelins n'étaient plus franchement de son âge. Ce dernier il était vide, ce  qui lui permis d'éviter les commentaires désobligeants sur sa disparition. Elle mangea en quatrième vitesse, piochant parmi les restes de la veille et dédaignant les biscuits et autres sucreries que l'intendante persistait à lui acheter. Après ce repas vite expédié, elle se dirigea de nouveau vers sa chambre. Les éducatrices étaient très fermes là-dessus : le dimanche matin devais être entièrement réservé aux devoirs, sous peine d'interdiction d'entrainement d'escrime. La jeune fille avait depuis longtemps renoncer à leur expliquer qu'elle avait en général déjà fait ses derniers. Il faut dire que sa moyenne de trois heures de sommeil par nuit lui laissait pas mal de temps libre... 

Le dimanche matin se transformait en général en séance d'interrogation interminable sur la façon dont elle avait atterri dans cet orphelinat sordide. Puisque la directrice restait plus qu'évasive sur ce point et avait toujours refusé de réponde à ses questions, elle avait depuis longtemps pris la décision de le découvrir par elle-même. Qui étaient ses parents ? Etaient-ils morts ? Etait-ce eux qui payaient pour qu'elle reste à l'orphelinat ? Pourquoi ? Et sinon, qui ? L'avaient-il abandonné parce qu'ils avaient senti que quelque chose ne tournait pas rond chez elle ? Etaient-ils eux aussi... différents ? Pourquoi n'était-elle pas adoptable ? Pourquoi la laissait-on croupir ici ? Pourquoi pas en famille d'accueil ? Qu'adviendrait-il d'elle à sa majorité ? Tant de questions restaient encore sans réponses. Toujours les mêmes. En boucle. Encore et encore. Et ce depuis des années. La seule chose qu'on avait consenti à lui dire, c'est qu'elle était arrivée ici quelques jours après sa naissance. 

Recroquevillée sur son lit de façon à éviter tout contact de son dos avec le matelas, Swanya senti les questions habituelles l'envahir. Mais ce jour-là, encore plus que les autres, une vague de découragement déferla sur son cœur. En des années de fouilles de l'établissement, elle avait retiré tout ce qu'il était humainement possible de retirer des dossiers de l'orphelinat. Il n'y avait plus rien à découvrir, plus rien à apprendre. Au fond, elle doutait même que la directrice soit réellement au courant de quoi que ce soit de plus. Elle senti au plus profond d'elle son âme vaciller et son cerveau frémir. Elle savait depuis longtemps qu'elle menait un combat vain et sans espoir mais elle s'était efforcée d'y croire. Hors, tout à coup, sa quête lui apparut telle qu'elle était réellement : irréalisable. Elle en pris soudainement conscience si brusquement que son corps sembla la lâcher. Tous ses muscles se détendirent d'un coup, comme vaincus. Elle resta ainsi un bon quart d'heure, incapable de faire un geste, tétanisée, paralysée par la réalité. Elle ne saurait pas jamais. Elle était anormale, dangereuse. Et seule. Et pour toujours. Enfin, ses connections nerveuses semblèrent se rétablir et elle bondit subitement sur ses deux pieds.  

En parfaite opposition avec sa précédente léthargie, elle se sentait tout d'un coup incapable de rester en place. La certitude qui tout à l'heure la clouait au sol l'animait soudain. Et, en une fraction de seconde, elle vit ce qu'elle devait faire, maintenant, tout de suite. Une subite fébrilité qu'elle ne pouvait consciemment expliquer semblait guider ses gestes. Tout d'abord, elle prit un sac à dos et vida à terre tout son contenu. Elle redescendit ensuite discrètement à la cuisine, son sac à la main. Tout ce qu'elle trouva de comestible et non-périssable fini à l'intérieur. Après une légère hésitation, elle  « emprunta » aussi un immense couteau de boucher. Le sac était vraiment lourd, mais la frénésie qui s'était emparé d'elle le souleva comme une plume. Elle gravit l'escalier quatre à quatre et s'engouffra à toute vitesse dans sa chambre. Le sac était déjà presque plein, mais elle réussi cependant à y rajouter son carquois, son épée d'escrime, une légère couverture polaire, un calepin et un stylo. Elle se changea rapidement, tranchant sa tenue ville contre contre un jean confortable, un tee-shirt par-dessus un sweet-shirt à capuche et de solides baskets. Face à la glace, fixant ses propres pupilles comme une possédée, elle noua  rapidement ses cheveux en une longue natte de jais pointue comme un dard. Guidée par une volonté qui lui était quelques minutes plus tôt encore inconnue, elle mis son sac sur le doc, s'empara de son arc, sauta par la fenêtre et atterri sur les plates-bandes. 

Ses jambes, apparemment guidées par leur volonté propre, coururent jusqu'au mur de pierres sèches et entamèrent l'escalade. Arrivée en haut de ce dernier, elle sauta sans un dernier regard sur l'endroit qui était la seule maison qu'elle ai jamais connue.


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