J'avais stoppé net dès que je l'avais vu, en proie à l'émerveillement le plus complet. Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, je venais d'avoir ce qui resta le plus grand choc de ma vie.
- La rencontre avec Mytroab est toujours un moment exceptionnel, déclara Jelys après m'avoir laissé m'en rendre compte par moi-même et m'abimer dans ma contemplation.
- Les elfes ont compris, murmurais-je pour moi-même sans m'en rendre compte.
Mytroab, un mot à la double signification. Père. Force.
- Qu'est-ce que les elfes ont compris ? me demanda Jelys, étonné.
- L'essentiel, répondis-je. Sur terre, les hommes ont oublié leur mère, l'argent est devenu leur seul culte. Toute relation avec la nature a peu à peu disparu. Là-bas, tout le monde a oublié l'essentiel, que nous ne sommes que de passage, que nous n'existerons que le temps où la nature ne nous le permettra. D'un simple changement de sa part, elle peut se débarrasser de nous à jamais.
J'avais déclaré cela d'une traite, sans réaliser ce que je disais, sans pouvoir lâcher Mytroab des yeux.
- Tu parles comme si tu en étais un, remarqua Jelys.
- Un quoi ?
- Un humain.
- Je l'ai longtemps été.
- C'est faux. Ta patrie est ici, et tu l'as compris. Tu n'as jamais été chez toi là-bas. Tu n'as jamais été et tu ne seras jamais une humaine. Tu appartiens à ce monde ci.
- Je...
- N'oublie jamais ça. Si jamais tu laisses échapper quelque chose comme ça devant Elyssa, ou même Maître Torac, tu serais immédiatement cataloguée faible. Les hommes sont faibles. Et un elfe qui se prend pour un homme n'a pas la volonté suffisante pour développer les qualités supplémentaires qu'il a reçues en tant qu'elfe. Et crois-moi, s'il y a bien une chose que tu ne veux pas ici, c'est être considérée faible.
Je vis sur son visage que Jelys était sérieux, et je compris le prix de son conseil. Il m'éviterait les fautes d'inattention qui auraient constitué une grave bévue. Je commençais à comprendre que les faux-pas dans ce monde auquel je ne connaissais rien pouvaient vite s'avérer impardonnables et lourds de conséquences.
Puis l'air grave qui était apparu sur son visage s'évanoui, remplacé par cet air jovial qui le caractérisait.
- Bon, déclara-t-il. Il y a encore trois étages à visiter. Je ne sais pas toi, mais moi je commence à avoir faim. Si on remettait la suite de cette visite à plus tard ?
- Bonne idée ! Je commence à avoir faim.
Comme entrainement, Jelys me demanda si j'étais capable de retrouver le réfectoire, qu'il m'avait montré un peu plus tôt, alors qu'il était encore vide. Il ne fut pas très difficile à retrouver car désormais un brouhaha intense en provenait. En entrant, je compris pourquoi. Plusieurs centaines d'elfes étaient réunis dans cette pièce et discutaient entre groupes d'amis. Ajoutez à cela le tintement des couverts contre les assiettes, et, pour un humain, il devenait impossible de s'entendre parler. Mais pour les elfes, tout cela était parfaitement audible. Jelys m'avait appris que l'ouïe des elfes était trois à cinq fois supérieure à celle d'un humain ! Même les dauphins n'avaient pas ouïe plus fine.
Il se dirigea d'abord vers une table où était assis un groupe de jeune elfes à peu près de mon âge. Quelle ne fut pas ma surprise de voir qu'elles étaient maquillées, et même que certaines d'entre elles avaient abandonnées l'armure de tryop pour enfiler une jupe ! En réalité, cela semblait un peu contraire à l'image que j'étais en train de me construire de ce monde, où le superflu et le superficiel n'avaient pas leur place et où la praticité semblait régner sans partage. Mais ma surprise fut vite ensevelie sous la méfiance et le mécontentement lorsque je reconnus Dyu'Reza parmi elles.
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Elfes
ParanormalJe n'ai jamais été intégrée nulle part. Ou peut-être que je ne me suis intégrée nulle part. Quoi qu'il en soit, le jour où j'ai découvert un monde au-delà du nulle part, j'ai naïvement cru que ce serait plus facile. J'ai naïvement cru que j'apparten...