Un blanc épars. Un blanc éclatant. Un blanc dangereux. Un blanc furieux. Un blanc froid. Un blanc vide.
Partout. Il est partout. Au plafond. Sur les murs. Sur ses cheveux moutons. Sur sa chemise repassée. Sur sa peau claire, presque transparente. Sur les draps de son lit. Sur le sol nettoyé à coup de javel, coup de flingue malodorant. Sur les blouses des infirmières et des infirmiers. Sur les couverts en plastique qu'on donne aux patients à la cantine. Il est partout. Partout.
Il dévore la vie. Dévore la patience. Dévore la raison. Dévore le rouge qui devrait couler abondamment. Il dévore les cris. Dévore les rêves. Dévore les cauchemars. Il ne laisse rien derrière lui, si ce n'est une traine de mariée creuse. Il envahit les âmes. Les cœurs. Les rouages de la pensée. Il envahit tout, et ne laisse qu'un vide béant.
Et face à ce blanc, un homme se dresse avec noblesse. Un homme vêtu de noir. Un homme à la belle chevelure rousse qu'il a laissé pousser. Un homme à la cicatrice élégante, qui lui fait un visage asymétrique, qu'il laisse voir à présent. Un homme au sourire extraordinaire. Un homme à l'œil droit émeraude. Un homme à l'œil gauche diamant. Un homme couleur, un homme qui anéanti le travail acharné du blanc qui lave le cerveau, qui crève le cœur, le creuse avec cruauté. Coups d'un connard casseur de vie.
Cet homme, c'est le bon docteur. Le bon samaritain. Celui sans qui les jours du patient qui nous intéresse se seraient trouvés bien vides. Il s'occupe de remplir ces journées, tue l'ennui. Il est le sauveur de l'humanité, le Jésus des profanes, celui qui protège les malades de leurs propres maladies, les hommes de leur propre humanité. Mais cela, le patient aux cheveux moutons semble bien être le seul à le savoir. Parce qu'il est le seul à le regarder correctement, avec des yeux crève-masque.
Que fait-il ici ? Ils n'avaient pas rendez-vous aujourd'hui, du moins pas d'après ses souvenirs. Peut-être est-ce encore une faveur qui va être demandée. Sûrement même. Si jamais c'était là la raison de cette entrevue inattendue, le patient dirait oui, oui et encore oui. Il lui dira toujours oui. Parce que sans cet homme, sa vie n'aurait plus de sens. Et du sens, il en faut. Il en faut toujours, il en faut en permanence.
Oui, pour lui, il ferait tant de choses, des choses vilaines, des choses belles. Il éclaterait des crânes, écarterait les cuisses. Il ferait hurler jusqu'à en perdre la raison, pousserait des gémissements qui plongeraient dans l'embarras même un sourd. Il étranglerait des chiens, laisserait l'un d'entre eux faire son affaire avec la chienne qu'il se croit être. Il défoncerait des vies, mais ne donnerait jamais la sienne. Parce qu'il doit vivre pour aimer. Parce qu'aimer a toujours été ce qui le maintien à flot. Toute sa vie c'est ce qu'il a fait. D'abord avec un peintre artiste incompris. Ils sont toujours incompris de toute façon. Pour rester en ce monde, il se trouve obligé d'aimer, et c'est dans un plaisir voluptueux qu'il s'y laisse sombrer. Parce qu'après tout, il ne vit que pour cela.
— Bonjour Alix, tu sais sans doute pourquoi je viens te voir aujourd'hui ?
Doux tutoiement. Quelque chose de précieux. Quelque chose auquel il n'a pas le droit ici. Toujours de la distance, un rejet des autres, l'éloignement des hypocrites. Les infirmières ont pitié de lui, les infirmiers le haïssent, parce qu'il attire malgré lui les demoiselles appréciant les hommes. Et les autres infirmiers, ceux-là qui ne dédaigneraient pas jeter un coup d'œil au mouton, ils laissent entrevoir un désir violent, un désir qui leur déforme le corps et les vêtements. Et pour ne pas le laisser les submerger, ils usent de ce « vous » traitre, menteur. Comme si cela pouvait cacher leur formidable érection.
Le jeune homme secoue la tête, et se laisse sombrer dans un sourire étonnant, profond, les yeux naguère si hagards à présent plongés dans le vert joyau. Il ignore la raison de cette délicieuse visite. Mais il a toutefois une petite idée en tête, cela fait longtemps depuis la dernière fois. Le bon docteur sait se faire désirer, pour sûr. Ce qui tombe bien, parce que lui aussi, il sait se faire désirer. Il a appris avec le temps. Trois ans pour savoir, on peut en savoir des choses pendant ce temps.
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Sac de papier
Mystery / ThrillerTrois ans après les événements de Silence, les choses n'ont pas tellement changé à Sainte Haelen. Le psychiatre Ethan Leroy professe toujours, laissant derrière lui une trainée de folie noire. Et à ses côtés se dresse fièrement la figure de Clair, a...