Chapitre 4 : Il faut bien s'amuser de temps en temps

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Le monde brûle à petit feu. Les hommes le consument lentement mais sûrement, et plus le temps avance, plus ils trouvent de nouvelles méthodes pour l'anéantir, en oubliant l'essentiel : en détruisant le monde, ce sont les hommes, eux-mêmes, qu'ils détruisent. Et ils s'en moquent éperdument. Et bien sûr, moi aussi je m'en moque, parce que la chose ne peut pas ne pas être ainsi. Naturellement, il m'est impossible de ne pas me considérer moi-même comme un être humain, je serais bien hypocrite de penser le contraire. C'est cela même qui explique pourquoi je pense de cette manière. Parce que ce n'est pas un choix, mais la plus parfaite des évidences.

Pourtant, ce n'est pas comme si j'aimais être comparé au commun des mortels, loin s'en faut. Pourquoi ? Les hommes du commun n'ont aucun intérêt. Ils feraient mieux de ramper à mes pieds, comme certains d'entre eux le font déjà. Il est évident que j'ai bien plus de valeur que tous ces porcs habillés et parlant, ces créatures qui puent la pauvreté d'esprit. Celles-là ne me rassasient plus depuis longtemps, leur esprit vide et si peu rangé ne vaut même pas la peine que je m'y attaque.

Alors il n'est pas difficile de comprendre la raison pour laquelle je me suis intéressé aux pires choses que le genre humain a pu produire au cours de son existence. Tueurs en série, sociopathes violents, violeurs pédophiles, toutes ces bêtes qui grouillent dans les bas-fonds de l'humanité sont les seules à avoir le mérite de m'intéresser. Ils ne valent pas mieux que les autres, ils sont même pires que les autres. Mais en quoi sont-ils pires que les autres ? C'est la question que je creuse à longueur de journée, et c'est pour y répondre que je fais tout ce que je fais. Parce que j'en ai envie, et que je fais toujours ce que j'ai envie de faire.

A côté d'eux, la ménagère de moins de cinquante ans qui se plaint que son imbécile de mari est une véritable ordure n'a aucune valeur. Et il y en a tellement dans ce monde, tellement qu'on en perd l'appétit. Raison pour laquelle j'ai enduré tout ce travail pendant si longtemps, avec tellement de difficulté par moments, fragment d'existence douloureux, fragrances malodorantes de ma vie. Mais je me suis accroché, parce que c'est ça que d'être fort. Beaucoup auraient abandonné. Pas moi, je ne suis pas faible. Je l'ai bien montré.

Pour autant, je veux bien reconnaitre que quelques fois, des sujets intermédiaires sont tout aussi particuliers. Un certain Clair Damien par exemple. Je n'avais pas trouvé pareil intérêt depuis un bout de temps, et plus j'avance, plus je le trouve fascinant dans sa manière de tenir le coup. Mais peut-être qu'il lâchera bientôt, comment le savoir ? Un jour cela arrivera. Et ce jour-là, il me faudra agir comme il se doit.

Il me faut encore plus stimuler mon intérêt, et pour cela, il m'est obligatoire de relancer la machine. Avec tout ce que je peux lui dire à longueur de journée, n'importe qui d'autre se serait déjà suicidé de la manière la plus drôle du monde. Il est endurant, très endurant, et cette endurance a de quoi provoquer ma fascination. Fascination qui s'émousse un peu ceci dit.

Et cette fascination, je ne doute pas un instant qu'elle perdurera encore un temps. Mais enfin, l'heure n'est pas à ce jeune homme aux cheveux violets et aux goûts exubérants. Heureusement pour moi, je ne sors que très rarement à ses côtés, mieux vaut éviter de me faire surprendre en sa compagnie. Il tacherait mon image si c'était le cas.

Non, l'heure n'est pas pour lui, mais pour un autre spécimen, un être beaucoup plus intelligent, beaucoup plus vif, beaucoup plus digne de mon intérêt, une bête sauvage que nous avons capturé vivante, une chance extraordinaire. D'ordinaire, on ne les trouve pas avec autant de facilité, mais celle-là a fait une erreur monumentale. Ils en font tous à un moment donné, ou presque. Et dans ce cas, quelle chance pour les chercheurs dans mon genre !

Me voilà devant mon tout premier patient de type criminel. Récupéré assez rapidement, il faut le dire. Voilà trois ou quatre ans que je le suis au quotidien, je ne sais plus trop. Mais qui s'en préoccupe ? Le temps en lui-même n'a pas la moindre once d'importance. Car l'importance, quand on y songe, ne porte pas sur le temps, mais sur ce qu'on en fait. Un certain moustachu nous l'a bien fait comprendre il me semble.

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