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Félicien


Ça tire de partout. Je cours dans la boue, et je manque d'y perdre ma godasse. Même la boue semble salie de notre sang, de nos larmes, et de notre sueur. Comme si on laissait chacun des morceaux de nous que l'on perdait dans la bataille. C'est un peu vrai après tout... Merde, ça tire à ma droite. C'est Arnaud. Il a été touché à la tête par un obus. Sa boite crânienne a littéralement explosée. Le sang baigne son visage, il est défiguré. J'ai de la peine pour lui. Il se tient la tête et hurle de douleur. Il m'avait raconté, une fois où j'écrivais à Rose, le jour de son mariage puis la naissance de ses enfants. Oui, Arnaud avait une femme et quatre enfants... Son second fils est mort avant qu'il ne parte à la guerre.

J'observe impuissant les brancardiers s'occuper de lui. Son corps semble de plus en plus lourd. L'un des brancardiers fait un signe de tête à l'autre ; je crois qu'il est mort...  Nom d'un chien ! Cet homme à peine plus âgé que moi est mort. Il est mort devant moi. Il est mort devant moi et j'ai assisté impuissant à son agonie ! Quand je pense à sa femme qui attend toujours son retour... Quand je pense à Rose qui m'attend... Qui m'attend en portant en elle le fruit de notre Amour... Je crois que c'est ça qui me tient en vie chaque jours... Rose, c'est mon rayon de soleil dans mon sinistre quotidien. Quant à notre enfant, j'imagine déjà son sourire et cela suffit à me redonner du courage...  J'ai peur, je ne le cache pas. J'ai peur de ne pas la revoir. J'ai peur de ne pas connaitre notre enfant. Et plus que tout, ici j'ai peur de mourir. Quand on t'engage, tu fais le gros dur, tu te dis que ça ira . Tu es le jeune idiot innocent qui pense presque que la mort est un mythe, une histoire sordide pour faire peur aux polissons. Non, ici tu es confronté à la mort. Chaque jour qui passe, tu vois la vie défiler devant tes yeux. Tu penses à tout ce que tu as fait, ce que tu n'as pas fait, et ce que tu aurais dû faire.  Tu repenses à ta famille. Ta mère qui t'attend , comme elle attend chaque homme de ta famille. Ta mère qui t'a donnée naissance, et qui prie chaque jours pour que personne ne t'ôte la vie. Ta mère qui chaque jours pleure ton départ. Puis ton plus jeune frère qui, lui, n'a pas pu aller au front car il était encore bien trop jeune pour s'engager. Tu penses à tous ces enfants qui voient la tristesse de leur mère sans comprendre pourquoi. Mais surtout, tu penses à celle que tu aimes, à celle qui possède ton cœur, à celle qui te tient miraculeusement en vie. Ma Rose, elle est omniprésente dans mes pensées. C'est mon oxygène. Ma bouffée d'air pur dans mon quotidien si morose. C'est ma petite femme. Celle pour qui je continue de me battre.

On nous rappelle à la tranchée. Je me dirige rapidement vers celle ci. Un homme à terre m'attrape à la jambe et je bascule avec lui dans un trou d'obus. C'est à ce moment précis que le ciel se met à gronder : les Allemands relancent une offensive. L'homme vient de me sauver la vie. 

- Merci.

- Pas de soucis mon gars.

- Je m'appelle Félicien.

- Victor.

Notre échange fut bref car la cohue autour de nous rappela qu'il fallait que nous nous battions. Nos armes à la main, on se glissa hors du trou boueux, déterminé  à en finir avec l'ennemi. Victor lança une grenade sur un groupe de bosch qui se dirigeaient vers nous. C'est alors que notre colonel  nous rappela à la tranchée. Nous sommes le 24 décembre, et il est bientôt dix-sept heure. D'un commun accord avec l'ennemi, nous faisons une trêve le temps de passer les fêtes de Noël.

Ne ressentant pourtant presque plus le bout de mes doigts, je décidais tout de même d'écrire une lettre à Rose.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 17, 2019 ⏰

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