Les cigales chantent, le soleil se couche et ses rayons m'éblouissent en passant au travers la vitrine du magasin dans lequel je travaille depuis le début de l'été. Ma frange me gêne, je passe une main sur mon front qui s'est au fil de la journée recouvert d'un voile de sueur, non seulement à cause de mes nombreux aller-retours en réserve mais aussi à cause de la chaleur caniculaire.Heureusement ma journée de travail se termine dans quelques minutes et je vais pouvoir rentrer chez moi prendre une bonne douche. En pleine rêverie, je n'entends pas mon collègue m'interpeler. Enfin, ce n'est pas totalement de ma faute, il parle toujours très bas.
La timidité de Charles l'a empêché de me parler un petit moment après qu'il ait été embauché, vers le milieu de l'été, et finalement en un mois nous avons à peine échangé quelque mots. Je suis un peu déçue, bavarder avec quelqu'un ou savoir que je n'étais pas la seule à m'ennuyer m'aurait peut-être motivée un peu plus et m'aurait fait passer le temps.
Enfin bref, en attendant dans une semaine, je reprends le lycée et je me prépare à passer le bac donc il est évident que je n'aurai en aucun cas le temps de socialiser avec qui que ce soit. Qui plus est c'est mon dernier jour de travail.
J'encaisse les derniers clients de la journée, des jeunes collégiens venus achetés des chips, puis ferme la caisse, pendant que Charles, toujours aussi discret, passe derrière moi après avoir fermé la porte et affiché la pancarte "fermé". Son odeur masculine mélangé à de la sueur masculine vient frôler mes narines et je secoue la tête pour m'ôter toute image de la tête.
Mon esprit me joue des tours depuis que je l'ai aperçu se changer dans les vestiaires. L'image de lui à moitié nu reste ancrée dans ma rétine, mais ce doit être parce que je ne m'attendais pas à ce que j'ai vu, pas que je me suis imaginé qu'il ait un troisième téton ou quoi que ce soit d'autre mais je ne l'imaginais pas aussi... intéressant.
Bon ok en fait il est clairement mon genre!
En effet, cet air d'adolescent aux épaules frêles cachées sous des vieux pull trop grand qu'il affiche au lycée n'est rien à côté de ce que j'ai pu voir. Il ne sait juste pas s'habiller. Ses épaules sont carrés, sa peau est laiteuse marqué de trace de bronzage mais aussi de jolie abdominaux dont la forme n'est qu'une esquisse mais qui lui ajoutent quelque chose, lui créent un charme que je n'avais pas soupçonné jusqu'à présent. Enfin si un peu. Mais je ne lui avouerai jamais de toute façon. Il est bien trop froid pour s'attarder sur moi.
Néanmoins même si son apparence ne m'avait pas autant titillé jusque là, sa façon d'être m'avait intrigué, sa timidité lui donnait un côté mignon en plus des tâches de rousseurs disposées sur son nez.
- ... d'accord, Mia? Tu m'entends? entendais-je.
je relève la tête vers lui, les joues rouges, totalement incapable de me souvenir de ce qu'il vient de me dire. mes yeux se baissent sur badge, où est écrit son prénom.
- T'as dis quoi? j'étais occupée à compter, j'ai pas écouté.
Ses yeux se posent sur la caisse que je suis en train de tripoter pour couvrir mon mensonge. Il lève un bras et se gratte la nuque, j'ai remarqué qu'il faisait ce geste quand il était gêné ou qu'il parlait à une jolie cliente ou enfin quand on lui demandait une boite de préservatif. Comme à ce moment de la journée, mon corps se liquéfie sous la chaleur, je penche pour la première option. Ou alors il va me demander de le remplacer pour la fermeture.
- Tu veux bien m'accompagner ... pour un truc...? bégaie t'il.
- Un truc ? Quel genre de truc?
- Un truc vite fait.
Ses joues s'empourprent et il se met à fixer le sol tout en agrippant sa nuque d'une main plus ferme. Curieuse, je décide d'accepter simplement car je sais qu'il n'en dira pas plus et que si je pose trop de questions il va se braquer.
- ça marche, je finis ça et je te rejoins.
- Une glace, en fait je veux qu'on aille manger une glace et qu'on se balade un peu.
Mes sourcils se haussent un instant puis un sourire se dessine sur mes lèvres.
- OK, je me dépêche.
Il opine du chef et se retourne pour accéder au vestiaire. je souris malgré moi. Si je m'attendais à ça aujourd'hui!
Quelques minutes plus tars, le magasin fermé, mes vêtements de travail troqués contre une robe fleurie et légère et un cardigan pour contrer la légère brise soufflante qui me provoque des frissons. Charles m'attends, habillé d'un vieux sweat-shirt "Mr Hot-dog", un vieux lion de mer à lunettes de soleil qui s'empiffre de hot-dogs, pas plus sexy. Il voit que je bloque sur son pull et grimace .
- Y'a un problème?
- Ton pull est hideux, pouffais-je. Je préférais encore celui de jeudi avec le mouton hipster.
Ses joues deviennent rouges et il fronce les sourcils en me tendant nonchalamment un esquimau à la fraise.
- Prends ça.
Oups! J'ai l'impression de l'avoir vexé. Je lui emboite le pas et nous commençons à marcher le long de la digue. Mon regard se perd dans les vagues et je profite du silence pour déguster ma glace tranquillement. Peut-être que Charles se décidera à arrêter de bouder.
Au coin d'une rue se dessine , sur le trottoir d'en face,des silhouettes qui me sont familières: Mon frère et ses potes. Je les salut d'un geste de la main et les entends ricaner , immédiatement je sens le garçon à coté de moi se tendre. Ses poings se serrent et il accélère le pas, presque en oubliant ma présence.
- Attends-moi !
- Si tu veux les rejoindre, vas-y, moi je dois rentrer.
Je manque de m'étouffer en m'offusquant.
- Mais tu m'as invité, je me trompe?
- Non, mais t'as l'air de vouloir être ailleurs.
- C'est faux, c'est toi qui te vexe pour rien. J'y suis pour rien là-dedans.
- Je... J'ai voulu t'inviter mais je suis pas sûr de savoir comment m'y prendre, tu vas te faire chier avec moi.
- C'est sûr qu'en disant ça, j'ai encore plus envie de rester.
Il fourre ses mains dans ses poches puis baisse la tête toujours en pressant le pas.
- Marches moins vite! j'ai du mal à te suivre, je n'ai pas des jambes de géant! me plaignais-je en me stoppant net.
Il se retourne enfin prenant conscience de sa bourde et me lance un regard sincèrement désolé.
- Excuses moi... On a qu'à aller s'asseoir sur le sable, t'en penses quoi?
Je dodeline de la tête, sans un mot de plus, et me dirige vers la plage. Ma glace d'une main, mes sandales de l'autre je m'avance vers l'eau. Mes pieds s'enfoncent dans le sable que le jour qui se couche est en train de refroidir. La sensation agréable me fait sourire.
Lorsque je relève la tête vers Charles, sa main n'est plus qu'à quelques centimètres de la mienne. Pris la main dans le sac, il devient écarlate et fuit mon regard en faisant comme si de rien était. Son visage rougissant le trahit et mon sourire s'agrandit un peu plus au passage.- Tu vas t'arrêter en si bon chemin, vraiment? Fais-je en collant mon bras contre son épaule.
Nos doigts se mêlent et s'emmêlent pour finalement joindre nos mains ensemble. Charles ose un regard dans ma direction, je lui envoie un sourire en guise d'approbation.
- Ça te dérange pas?
- Non pourquoi ce serait le cas?
- Je croyais que ton genre de mec c'était plutôt les potes de ton frère pas les.. gens comme moi. Finit il dans un souffle.
- Il n'y a pas d'autre gens comme toi, et les potes de mon frère sont les potes de mon frères.Mon coeur s'accélère, jamais je n'aurai cru faire autant de choses en ce dernier jour de taf à la supérette. Je ne pensais pas devoir faire une déclaration à Charles aujourd'hui mais puisque qu'il a enfin décidé de me regarder, autant en profiter.