Partie II - Avant-Goût

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2 ans et 9 mois plus tard

Les années étaient passées comme une ère crépusculaire qu'Eglantine aurait pu apprécier. Les couleurs qu'elles aimaient tant se confondaient entre son âme et celle du monde. Pas de grand bouleversement émotionnel, sa vie était plate et elle s'en contentait.

Elle resta deux années et demi en foyer. Elle avait eu la chance de croiser sur sa route un éducateur qui lui avait montrer un chemin qui ne se voulait pas trop sinueux. Il l'avait accompagné, elle avait compris qu'elle devait, pour se faire une place dans cette société sans scrupule, se la fermer et se satisfaire de sa petite vie quotidienne. Toujours près du spectre de sa mère mais néanmoins sans sa présence physique.

Elle s'était installée dans la ville de Lyon, dans un petit studio. Marc, son éducateur l'avait dirigé dans une formation administrative et de comptabilité. Elle n'aimait pas ça mais c'était mieux que le Mc Do ou le travail à la chaîne, comme les 2 dernières années de sa vie. Elle exécutait des tâches que la direction lui imposait, et c'était tout.

Voilà ce qu'était la vie d'Eglantine, un succès fou, si on en croyait son vécu.

Elle retrouvait Juliette de temps en temps. Elle sortait avec Zayn mais elle ne savait pas bien pourquoi. Il s'était retrouvé à déménager lui aussi à Lyon. Ils s'étaient sentis tout les deux seuls et donc, ils s'étaient réconfortés comme ils avaient pu.

Le lycée pour elle, n'était qu'un lointain souvenir, un simulacre d'atrocités. Elle ne s'en souvenait même plus, parce qu'elle voulait oublier Eglantine, oublié que toute son existence reposait sur un mensonge qu'on lui avait ordonné de croire. C'était bien plus facile comme ça.

Son poste d'agent d'accueil lui intimait d'être souriante, bienveillante et communicative et c'est ce qui lui permettait de tenir la cadence de ce monde impitoyable. Elle apprenait les gestes et les codes de la société et d'adolescente de Foyer, elle était devenue une employée sans histoire avec qui on aimait échanger.

N'était-ce pas terrible, les personnes qu'on définissait comme sans histoire ? Des personnes qu'on qualifiait d'insignifiantes, futiles, banales... Triste. C'était ce récit d'une personne sans histoire qui débouche toujours sur une mélodie mélancolique noyée dans une marre de boue, un récit de vie enlisée dans un cauchemar normatif, qu'était Eglantine.

Au fond, derrière les barrières inexplorées de l'âme d'Eglantine, on pouvait le sentir, plus fort qu'elle-même, elle voulait devenir quelqu'un. Pas quelqu'un qui se confond dans cette société ou qui est sous les projecteurs. Non, quelqu'un qui obtient la reconnaissance de ses pairs, tout en devenant celle qu'elle avait toujours voulu être, elle désirait se trouver, elle souhaitait ressentir autre chose que l'Automne, elle voulait s'enivrer du monde et de ce qu'il pouvait lui transmettre de bien. Elle avait envie de voler, d'être en accord avec elle-même, de se sentir comme une feuille qui se nourrirait du soleil et pousserait dans une Eglantier. Elle criait d'espoir de se sentir comme un tout.

Mais pour l'instant, son âme n'était que des bouts de verre éclatés d'un miroir dans lequel son reflet la dégoutait toujours.

Elle était allongée sur un banc du parc de la tête d'or.

- Zayn, ce week end, on pourrait partir quelque part, juste un endroit dont on ne connait aucun paysage, et on pourrait juste prendre une tente ?

- Pourquoi pas.

Zayn ne disait jamais non à ce que proposait Eglantine. Il l'aimait mais dans une moindre mesure qu'elle était ce qu'il avait toujours connu.

- Ce soir, on peut s'incruster dans une fête de bourge si tu veux, j'ai un plan. On pourrait voler 2-3 trucs et surtout récupérer un peu de beuh de bonne qualité.

- Mmh, comme tu veux

Eglantine était trop absorbée par la douce chaleur du soleil qui touchait sa peau pour contredire Zayn.

Harry terminait ses études. Un grand chef d'entreprise se profilait sous son horizon et il en avait en horreur. Il ne voulait pas devenir comme son père. Il avait changé du tout au tout. Il avait été accepté aux Beaux Arts de Lyon, alors qu'il était encore à l'IEP de Paris. Ça allait de mal en pie. Il ne savait pas s'il devait continuer à aller dans le sens contraire de la vocation que lui avait attribué son père. Il tremblait parce qu'il savait. Il aimait l'art dans sa définition à la fois la plus large et la plus engagée. Il touchait à tout, au bois, à l'acier, au plâtre, au verre, à la toile, au bois ; une passion que lui avait transmis les ouvriers de son père. Il aimait également la poésie, il aimait qu'on s'engage en tant qu'artiste, il aimait écrire, Il aimait donner du sens à l'art, lui offrir une intemporalité significative de ce que l'art pouvait représenter dans le monde : l'acte subversif et bouleversant qui transcende l'homme lorsqu'il s'agit de ses tourments, de ses capacités à la destruction. Il chérissait la vie à travers ce que l'art pouvait en résulter. Il aimait être politique dans son art, il adulait le graphisme. Ecorché, Il réussissait tout ce qu'il touchait et ça en énervait plus d'un. Et il était perdu, Parce qu'il ne comprenait plus ce dont il rêvait. Enfin, tout ce dont il était parfaitement conscient, c'est que l'Art l'exaltait.

Quoi qu'il en soit, il devait finir ses études politiques pour être à la tête de cette entreprise parce que c'était ce destin qui lui était assigné. Point final.

Cet après-midi, il avait rejoint Niall dans un café dans le but de s'incruster dans une de ses fêtes et de coucher avec une de ses filles dont les courbes lui apporteraient un peu de réconfort. Puis il aimait bien Lyon et ce qu'ils s'y trouvaient.

«Rien ne suscite plus grande mélancolie que l'idée de ne pas connaître tous les êtres qu'on aurait pu aimer, qu'on va mourir avant d'avoir pu les rencontrer» Carlos Fuentes

L'Écorchée de l'AutomneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant