Le Cycle Séraphique - Prélude /COMPLET

Chapitre 6 - Hartisa

Palil contempla l'étendue verdoyante depuis sa saillie rocheuse, énorme nez de pierre surplombant le paysage champêtre à plus de six cents mètres d'altitude. Les yeux rougis par la fatigue et les larmes, elle savourait enfin sa victoire, nourrie de ses rêves depuis tant d'années. Aucune parcelle de son corps meurtri n'avait été épargnée. Son visage émacié et couturé la rendait méconnaissable ; qu'importe, plus personne n'était là pour la juger. Les contusions de ses jambes lui arrachaient des grincements de dents. Sa tunique Kayham pendait en haillons sur ses épaules découvertes ; elle n'en avait cure. Tout ce qui comptait, c'était de savoir que le voyage touchât à sa fin.

— Je suis libre ! hurla-t-elle plus fort que le mugissement du vent. J'ai survécu aux Enfers !

Elle n'arrivait pas à y croire. Les massifs d'Enfer réputés infranchissables se trouvaient derrière elle, à jamais. Et c'est en embrassant Hartisa de son regard hagard qu'elle fut convaincue que son père Odvas avait accompli cet exploit bien avant elle. Sous ses pieds chaussés de brodequins rapiécés s'étirait la plus grande plaine qu'elle eût jamais vue. Odvas s'y était sûrement égaré avant de s'y établir, niché avec Halil au creux de ces collines tant convoitées.

— Je les retrouverai.

Palil discerna l'activité d'une ville plongée dans la brume. Hartisa. Elle était sur le continent d'Hartisa. L'information résonnait en elle comme un contresens. Elle se la répéta plusieurs fois pour l'ancrer dans la perception de sa réalité. Elle qui avait grandi à Aadra sans même soupçonner la grandeur d'Hertasa, la voilà arrivée au terme d'un périple insensé de l'autre côté du monde, à des milliers de kilomètres de son palais natal. Elle s'étendit sur la pierre nue, éperdue, et se remémora le jour de bascule durant lequel elle avait réussi à échapper aux Kayham, près de deux mois auparavant...

La journée avait débuté comme toutes les autres depuis qu'elle avait été admise dans la tribu Kayham, sept ans auparavant. Sept longues années d'apprentissage au cours desquelles Palil avait assimilé le savoir, la sagesse et l'histoire Kayham. Elle avait appris à se lier avec chacun des membres du groupe par des techniques traditionnelles d'altruisme, de méditation, d'écoute et d'assimilation des énergies. Acide était resté son plus fidèle partenaire, toujours présent pour lui enseigner les traditions nomades perpétuées à travers les siècles. Il lui avait expliqué en détail comment les éléments, le souffle du vent, la formation des roches, le crépitement du feu, le ruissellement de l'eau, tout ce qui constituait son environnement était empreint de forces dont le système nerveux humain pouvait s'imprégner s'il entrait dans un état dit de subconscience éveillée. Palil avait été réceptive à ces procédés d'ouverture de soi ; cela lui avait rappelé les moments d'intimité avec sa mère Nilys dans les jardins du palais lorsqu'elle l'écoutait décrire chacune des fleurs comme si toutes, à leur manière et d'un apport équivalent, contribuaient à un ensemble harmonieux. Dans un autre registre, elle avait adoré étudier le maniement des couteaux, les feintes et coups bas à asséner contre les prédateurs. À son grand étonnement, chasser le gibier avait constitué chez elle une révélation telle qu'elle avait insisté pour participer au maximum de battues et porter à l'instar des hommes du clan des couteaux à ses oreilles.

Ce fut lors de ces expéditions qu'elle avait fait la connaissance de Siad, une femme forte engagée pour sa puissance et précision au lancer de couteaux. Nul Kayham ne lui arrivait à la cheville à ce jeu-là. Acide lui vouait une admiration sans bornes. Siad, déjà mère de trois enfants fougueux, avait en outre élevé Palil en lui fournissant bienveillance, amour et réconfort. Souvent, Aadra et les Danmius étaient venus habiller les rêves de la jeune fille de fragments de souvenirs. Ces nuits-là, elle avait toujours fait en sorte de dissimuler ses larmes pour ne pas exposer sa peine aux yeux de sa nouvelle famille.