Dans les Contrées Libres, loin des Rois et des cités féodales éparpillées à travers le monde, se trouvaient un orphelinat modeste. Mais c'est dans cette petite auberge reconvertie de manière hasardeuse et pas plus grande qu'un vieux chêne, qu'un drame terrible se préparait...
- Liberté ! Voilà pourquoi il se battait ! Armé de sa hache immense, il transforma la bête en charpie ! SCHLAK !Le sang gicla sous les coups terribles de l'arme, explosant au visage d'un des enfants dans un cri d'effrois difficilement retenus. La Gardienne d'enfants tapa alors sur la table de sa large patte, tonnant de sa voix rauque, usée par le temps :
- Eavinne ! On ne joue pas avec la nourriture !
La petite tarte à la cerise avait été éventrée par la lanchette de la fillette, répandant son odeur chaude et sucrée sur la figure de ceux qui écoutaient l'histoire, et ils étaient nombreux. Cette dernière eut un petit rire agaçant, ignorant les réprimandes que d'autres n'oublieraient guère de sitôt, la cerise collait aux vêtements, et ce, pour longtemps. Elle grimpa sur sa chaise dans un bond agile, sa petite queue touffue agitée d'excitation face au récit qui bouillonnait encore dans ses veines. Son nez frétillait alors qu'elle reprenait l'histoire avec un sérieux des plus rêveurs, emporté par le crépitement des flammes de la cheminée.- Guilivers avait gagné... Mais à quel prix ? Nul ne le savait. Ce grand héros est aujourd'hui dans la nature, disparu ! Mort ? Je ne le crois pas. Il se prépare, attendant que le prochain prédateur apparaisse pour...
Elle marqua une pause avant de bondir de nouveau, sur la table cette fois ! Elle grimaça, transformant sa bouille poilue adorable en monstruosité de bave, de langue tirée et de dents férocement montrées pour ses camarades qui sursautaient déjà de terreur.
- ... L'empêcher de nous manger !
Elle eut un rire aux éclats, décousu parfois, alors qu'elle essayait de reprendre son souffle notamment. Mais cet instant fut de trop courte durée, brisé quand le corps minuscule de Eavinne fut tiré vers le ciel par une drôle de main venant d'une toute aussi drôle de bête. Une grosse truffe noire humide se remua devant la perturbatrice, des moustaches brunes cachant un sourire finalement amusé. Les grands yeux bruns de la bête voulaient trouver une certaine autorité, il y a longtemps disparu. Un enfant à écailles sauta de joie:- Grand Loup !
Tous se jetèrent au pied du chien, souvent confondu avec son cousin mystérieux à cause de sa grande taille et de son poil fournis. Adalbert était un chien noble, certains disent qu'il était chevalier autrefois. La vérité, c'est qu'il n'avait jamais été plus heureux qu'avec les enfants de sa maison d'accueil. Le dit loup grogna sans grande menace dans sa voix:- J'en connais une qui n'aura pas le droit à une histoire cette nuit ! Tu veux rendre folle notre vieille amie ? Ma' Mireille, je vous remercie de votre patience. Certaines lapines ne la méritent pas !
La petite Eavinne fit les grands yeux, suivit d'un sourire innocent, mettant ses petites dents de devant en avant. Son regard noisette se confrontait aux immenses yeux de celui qu'elle appelait "père" depuis sa plus tendre enfance, comme tous les autres enfants. La Gardienne, Mireille, soupira, épuisée. La vieille rate affrontait bien trop de surprises avec les orphelins de la maison, elle n'était plus aussi fringante qu'à ses vingt hivers depuis longtemps dépassés. Elle peina à sortir de sa chaise, bien trop ancrée dedans, au point de l'avoir déformée de son fessier avec le temps.- Je vous l'ai dit Adalbert ! Vous savez comment sont les Lapins, toujours à courir partout. Cela fait longtemps que je ne peux plus courir mon ami, j'ai déjà tant de mal à marcher !
L'age ne l'avait pas affaibli, c'était plutôt les nombreuses tartes qu'elle faisait et qui lui causait un embonpoint redoutable pour son souffle peu endurant, mais la rate s'en défendrait bien vite, prétextant que les tartes disparues étaient du fait des petits chapardeurs d'orphelin qu'elle veillait. Heureusement, le chien savait faire en sorte que les enfants se dépensent pour ne pas tomber dans le même vice sournois qu'est la gourmandise, encore plus redoutable une fois couplé à la paresse. La petite lapine était malgré tout devenue aussi sage qu'une image, ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait attraper ainsi, elle savait que s'épuiser à vouloir fuir ne servirait pas à grand-chose. Elle utilisait alors sa seconde force, bien plus maligne et presque indétectable. Presque.