Six hivers s'étaient déroulés depuis la rencontre d'Eavinne et de la chose que l'on surnommait déjà comme "Le Sphynx." C'est au crépuscule de ce sixième hiver justement, sous la neige qui semblait recouvrir de son manteau blanc absolument toute la campagne et sous les arbres morts, recroquevillés sous le poids de la poudreuse nacré, que se déroulaient un bien étrange événement bien loin de l'orphelinat, par-delà de nombreuses montagnes et des vallées profondes, dans le Royaume des Ours. Une animale voilée de brun et capuchonnée avançait difficilement dans la neige, frissonnante par instants à cause de la rude température. Couverte d'épais tissus de la tête au pied, son avancée n'en était que plus ralentie, au point qu'elle trébuchait parfois sur des racines cachées par l'immense et lourde enveloppe blanche, bien décidée à s'attacher au sol depuis les premiers flocons, ou même des cailloux escarpés et tranchants. Chaque arbre qu'elle voyait était noir comme la nuit, sans le moindre nid ou animal hasardant une patte hors d'un trou pour chasser. C'était après tout la Forêt de la Mort, et son apparence devait tenir à ce nom morbide, que les habitants de la région devait lui avoir vite octroyé pour lui offrir pareille réputation. À moins que ce ne soit ce qui y résidait justement qui avait donné à la forêt ce nom terrifiant. Elle s'appuya sur l'un de ces épais troncs abattus par l'orage, essoufflée. Elle grogna pour elle-même d'une voix forte, mature :
- Stupides légendes, stupides ours. Ne pas me laisser entrer parce que je suis une étrangère. Quand je deviendrais Reine, je leur ferais payer leur ingratitude à ces Racistes !
Siffla-t-elle avec autant de fierté que d'orgueil, même si pour l'heure, elle n'en menait pas large.
Elle retira sa main gantée du tronc épais sur lequel elle s'était assise, pour alors remarquer que sous cette dernière se cachait ce qu'elle cherchait. En effet, des griffures avaient profondément marqué le bois, au point d'en avoir fait couler la sève. Elles étaient gigantesques, plus grandes que ce qu'étaient capable de faire tous les Animaux recensés des Cinq Contrés. Elle repassa ses doigts pour suivre l'une de ces marques dans un petit rire malicieux.
- Tu étais donc là...
Murmura-t-elle avec impatience.
Elle se faufilait déjà entre les bois, sa queue aux couleurs flamboyante rappelant l'automne suivait avec enthousiasme. Ses rêves étaient sur le point de se réaliser, après tant d'années, tout devenait enfin clair. Elle s'arrêta face à une silhouette qu'elle percevait sous l'ombre des branches, à peine discernable, si bien qu'elle avait dû revenir sur ses pas, bien trop prise par sa course curieuse. C'était comme un immense rocher. Elle souffla sans peur :- Je t'ai trouvé... Maintenant lève toi. Ton combat n'est pas terminé...
Des murmures qui semblaient laisser croire que l'animale connaissait très bien à qui appartenait l'ombre en forme de grand roc.
Le rocher bougea, révélant une bête grise, poilue bien sûr, plus grande que les plus grands ours de la région entière.. La chose parlait d'un ton profondément mauvais, agressif, froid :- Tu ne devrais pas en être si fière. Tu vas mourir ce soir.
L'odeur que la créature dégageait était forte, une odeur de mort, presque pour ainsi dire pestilentielle et annonciatrice de malheur. Ce qui ne faisait que plaire plus encore à l'aventurière.- Je m'appelle Navi, et je ne mourrais pas ce soir, vois-tu, j'ai d'autres projets.
Fit-elle en s'inclinant une main sur le cœur dans une parodie à peine exagérée d'un salut à une personnalité importante, même s'il n'en était rien.
Elle retira sa capuche pour révéler son visage orangé, son long museau fin, ses joues blanches. Une renarde au regard verdoyant, et d'une beauté à couper le souffle, il fallait tout de même l'admettre. Et son air aussi malicieux que fier en rajoutait à son charme, du moins pour les plus énamouré facilement amadouer par un jolis minois et des battements de longs cils noirs.
- Je sais qui tu es, et pourquoi tu es ici.
Affirma-t-elle d'un ton sans équivoque.
La chose énorme fit trembler la terre de son premier pas lorsqu'il se redressa, laissant découvrir son immensité sous les rayons argentés de la Lune, qui perçaient facilement entre les arbres décharnés... Seulement une tête plus haute qu'un Ours brun pour le double de sa masse. Il grogna de nouveau avec une colère noire, menaçante.