Chapitre VII

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"Manfred. ...But my embrace was fatal.

[...] I loved her, and destroy'd her!

Witch. With thy hand?

Manfred. Not with my hand, but heart..."

Ses yeux se perdirent dans sa contemplation. Il la voyait se cramponner fortement aux remparts en bois de la loge, son regard fixe sur la dernière scène qui se jouait devant ce public composé majoritairement de nobliaux. Il fut surpris de voir ses pupilles briller d'une certaine admiration pour le comédien qui interprétait avec brio Manfred. Ou ne voyait-elle que Manfred, cet homme passionné et tourmenté ?

Alors que les rideaux se fermèrent doucement sous leurs yeux, que les lumières s'étaient éteintes pour les plonger dans le noir, Alexander fut troublé de la découvrir aux bras d'un homme une fois que l'éclairage revint à la normale.

— Quelle fin tragique ! lança ironiquement sa fiancée, se tenant tout juste à ses côtés.

Le soldat ressentit un instant de la culpabilité, qui s'effaça une seconde plus tard, alors qu'il se levait pour l'inviter à le rejoindre jusqu'à la sortie du théâtre. Les iris de sa compagne le regardèrent de longues minutes, sans bouger de son siège, attendant sa réponse.

— En effet.

Ce commentaire fut simple. Et bref, tellement bref que Lady Grentree garda le silence en ne sachant pas quoi ajouter de plus. Il venait clairement de mettre fin à leur discussion, du moins ils ne l'avaient même pas encore commencé ! Elle le connaissait assez bien pour comprendre que les pièces de théâtres et l'opéra l'agaçaient pour leur longue durée mais Isabel ne le savait pas au point d'être désagréable. N'était-ce pas lui qui l'avait invité en premier ? Elle qui s'était décidée à trouver des activités plus plaisantes pour les partager sans se soucier qu'il ne s'ennuie profondément...

— Ai-je...fait quelque chose qui t'ait déplu ? osa-t-elle lui demander, ses mains resserrant son biceps sous sa redingote bordeaux.

Il lui jeta un regard, surpris qu'elle lui demande cela.

— Bien sur que non, mon ange.

Alexander prit un temps, traversant le long couloir derrière quelques couples et groupes de nobles.

— Pourquoi cela ?

— Je ne sais pas, à toi de me dire pourquoi cette soudaine hâte ?

Doucement, ses mains relâchèrent son emprise, le plantant au milieu du couloir pour se mettre à marcher en relevant les jupons de sa robe en coton de couleur lavande. Elle avait bien vu ce regard ! Sur une autre, pas sur elle. Et qui l'aurait cru...Après autant d'années, la revoir devait sûrement le tourmenter. D'après Lady Sparks et Lady Green, son fiancé et cette satanée femme avait eu une relation sulfureuse. Mais c'était il y a une dizaine d'années en arrière et juste ciel ! Voilà qu'elle le surprenait à la regarder comme si elle était une œuvre d'art.

Bien évidemment, après le comportement qu'il avait eu avec son amie, Isabel n'était pas restée en retrait dans cette histoire. En espérant en savoir plus sur Lady Armstrong, elle s'était confiée à Patience et il se trouvait que Lady Georgina en savait davantage à son sujet qu'elle. Ce fut inévitable, elle avait dû se servir de cette femme pour connaître l'histoire qui se taisait au cœur de la société.

Et dire qu'elle avait demandé à son père de lui donner plus d'argent qu'elle n'en possédait pour qu'elle puisse porter cette robe à l'occasion de cette soirée. De plus, Isabel avait exigé à sa femme de chambre de la coiffer différemment...Puisqu'exceptionnellement, Alexander avait décidé de l'emmener au Théâtre de Drury Lane. Ce fut d'un chignon bas tressé qu'elle avait pu mettre en valeurs ses boucles d'oreilles serties de saphirs qu'il lui avait offert quelques mois après leur rencontre en Autriche.

Les débauchés, Tome 3 - Jeu de CoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant