Les débauchés, Tome 3 - Jeu de Coeurs

Chapitre X

Cette robe en mousseline était sublime ! La dentelle de ses manches en trois quart accompagnait chacun de ses mouvements lorsqu'elle se mettait à désigner un objet ou un autre dans la grande salle vitrée. Par ailleurs, une couleur qui ne s'accommodait pas du tout à celles de saison la rendait unique. Elle était certaine qu'un tailleur de France avait été appelé afin de coudre la robe sur-mesure. De loin, Lady Armstrong reconnaissait les finitions de la Maison du Soleil en bas de sa jupe, sur une vingtaine de centimètres, des motifs aux fils argentés avaient été rajoutés dans un style baroque. La Maison du Soleil était une très grande boutique qui se trouvait non pas à Paris mais à Nantes, et beaucoup de femmes se bousculaient à faire le tour de France notamment pour les petits bijoux de ce genre qu'on ne trouvait que dans une seule localité parfois, et en édition limitée !

— N'étais-tu pas venu au départ pour admirer des œuvres ? lui demanda finalement son frère.

Ils étaient restés devant un tableau sans bouger, la tête tournée en direction d'une femme qui était en pleine discussion avec deux hommes âgés.

— Oh mais j'en admire une en ce moment même, Jared !

Il leva les yeux au ciel avant de poser son regard sur sa sœur qui agitait rapidement son éventail près de son visage.

— Non mais quelle audace, du rose ? Le vois-tu, mon cher frère ? Du rose ! marmonnait Victoria, en l'observant sous tous les angles.

Il ne comprit pas vraiment ce qui pouvait être surprenant dans ce choix. Quelques minutes de silence le laissèrent réfléchir avant qu'il ne prenne la parole.

— Et quel mal y a-t-il ?

D'un geste sec, elle ferma son éventail et se tourna entièrement pour faire face à son frère. Les poings sur ses hanches, elle se pencha légèrement en avant.

— J'aurais dû être celle qui porte du rose, Jared ! s'exclama-t-elle, outrée de n'avoir pu y penser plus tôt.

En vérité, Victoria ne supportait pas d'avoir été aussi facilement évincée par cette inconnue. Elle était la femme la plus excentrique que Londres connaissait, alors comment avait-elle pu être mise dans l'ombre par cette femme aux cheveux bruns ? Quelle horreur.

Il faillit se mettre à rire en voyant l'état de détresse qu'elle lui présentait, cependant, elle lui envoya un regard bien noir qui le lui fit ravaler.

Soudainement, une voix féminine fit écho et arriva jusqu'à leurs oreilles. Une femme s'approchait d'où ils se tenaient, et lorsque les Armstrong pivotèrent, ils devinrent immobiles. Leurs regards se croisèrent et d'un mouvement de recul, Victoria sentit un frisson lui parcourir le long de l'échine.

— Chrysanthem.

Qui d'autre qu'elle pouvait se pavaner ainsi dans la haute société, avec autant d'extravagance qui pouvait l'égaler et dans un cercle aussi restreint que celui dans lequel elle était. Elle ne paraissait plus aussi jeune que dans ses souvenirs, et d'aussi loin qu'elle s'en rappelle, son visage n'était plus aussi fermé.

— Rentrons, dit Jared d'une voix sourde.

Elle se perdit dans la montée d'émotions qui la submergea brutalement. Mais celle qui dominait les autres, c'était la peur. Victoria ne désirait pas que tout s'écroule, elle l'avait déjà vécu une fois avec Alexander, pourtant, sa famille avait été présente. Aujourd'hui, c'était différent.

— Non...

Mécaniquement, le visage de la jeune femme se leva. Elle regarda son frère et lui murmura :