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-Ken?

Je criais en chuchotant, chose assez paradoxale, pour l'appeler mais vu le volume de la télé je doutais qu'il puisse m'entendre.

-Ken!

Cette fois j'avais crié un peu fort ce qui le fit se retourner.

-Oui?
-T'as pas un truc propre ou semi-propre à me prêter pour la nuit?
-C'est quoi que t'appelles semi-propre? Dit il en se levant pour se diriger vers sa chambre.
-Je sais pas genre un truc qui pue pas la clope ou le vomi comme mes vêtements actuellement.

Il me lança un t-shirt tout propre et bien plié avec un caleçon. Je le regardais d'un air dubitatif.

-Quoi? Tu vas pas remettre ta culotte si ?
-Bah si, mais merci.

Je riais avant de refermer la porte de la salle de bain. Je remettais ma culotte que j'avais lavée dans la douche puis étendue sur le radiateur pour qu'elle sèche un peu. J'enfilais le t-shirt qui n'était pas des plus longs mais qui faisait tout de même l'affaire avant de passer son caleçon comme un short.

Je vis la brosse à dents qu'il m'avait passée la dernière fois toujours dans le pot à coté de la sienne. Je souriais à cette vision, je me sentais vraiment bien chez lui. C'est assez bizarre en sachant que je ne suis à l'aise que chez moi d'habitude et que même chez ma sœur je ne me sens pas aussi bien. J'avais l'impression d'être dans ma chambre quand j'étais dans son appart et j'étais un peu gênée à cause de ça, de peur d'être trop à l'aise et que ça le choque.

Je ressortais de la salle de bain toute propre. Il tourna son regard vers moi, me dévisageant avant de passer en revue l'entièreté de mon corps, ce qui fit apparaitre quelques frissons dans mon corps.

-Tu dors où?
-Comment ça?
-Tu veux dormir avec moi ou pas?
-Euh bah je sais pas je veux pas te dér-
-Tu me déranges pas, faut que t'arrêtes hein. Il me sourit. J'suis pas un mec qui propose quand ça le fait chier, je te l'ai déjà dit, donc si je te demande c'est que ça m'embête pas.
-D'accord bah je veux bien alors.

Je n'étais pas si mal à l'aise que ça de dormir dans le même lit que lui finalement. Ça s'était bien passé la dernière fois alors pourquoi pas réitérer l'exploit?

Il éteint la télé avant de m'attirer vers lui sur le canapé.

-C'était ta première cuite?
-Plus ou moins. J'en ai déjà eu des belles avant de tomber malade mais pas depuis, donc techniquement c'est ma première depuis que ma vie a basculé.
-Tu devrais faire l'émission sur la 2 la, le jour ou tout a basculé ou une connerie comme ça.

Je riais avec lui avant de préciser qu'il n'y a pas un jour particulièrement qui m'a plongée dans l'anorexie.

-Si c'est pas trop indiscret tu veux bien me raconter comment ça s'est déclaré?
-Je sais pas trop, j'ai jamais été très à l'aise avec mon corps à la base parce que je me trouvais trop plate mais trop grasse. Quand j'étais petite j'étais un peu une boule, enfin façon de parler mais j'avais du ventre et pas de seins ni de fesses. Quand j'y repense et que je me rend compte que ça a contribué à ma chute dans la maladie, je trouve ça parfaitement con parce qu'a 8 ou 9 ans c'est normal d'avoir un corps comme ça. Mais ça persistait et a 13 ans j'avais toujours le même corps de gamine alors que mes copines faisaient déjà du B. Je mettais des brassières pour me donner bonne conscience mais j'avais absolument rien à cacher. Enfin bref, vu que je pouvais pas m'inventer des seins et des fesses, je me suis dis que ce serait bien d'au moins perdre la graisse dans mon ventre donc j'ai commencé à arrêter de manger, a faire plus de sport et donc dépenser plus d'énergie que ce que mon corps créait. J'arrêtais pas de faire des malaises, avoir des vertiges et tout. Après la suite je t'ai déjà raconté je crois. J'ai fait un gros malaise un jour où j'ai un peu frôlé la mort et en me réveillant, quand j'ai vu la détresse dans le regard de ma sœur, je me suis dit que j'allais finir par les tuer avant que moi je meurs. Donc j'ai remonté la pente.

Il tendit la main vers ma joue pour essuyer les quelques larmes qui avait coulé de mes yeux, ce qui me fit doucement rire. Assez peu habituée aux gestes attentionnés, j'espérais qu'il n'enlève pas sa main brulante de ma pommette. Je posais un peu ma joue dans le creux de sa main, de manière a ce qu'il comprenne que j'aimais bien son geste.

-Ca a été la pire période de ma vie je crois, c'était super long et j'attendais la libération sans faire d'efforts. En fait je sais même pas quel genre de libération j'attendais, si c'était de l'aide ou la mort. Dieu merci ma sœur a une tête de cul et son air de constipée ma sortie d'affaire. Depuis j'essaie de me concentrer pour pas me laisser aller et avoir des pensées un peu sombres, j'essaie d'aider les gens avant qu'ils entrent dans la phase ou tu peux plus entendre quoi que ce soit venant de tes proches. J'te jure je met tout en œuvre pour que cette maladie de merde atteigne pas les gens que je connais parce qu'autant se battre contre un cancer ou n'importe quelle maladie de ce genre tu arrives à te faire aider, autant l'anorexie et les maladies mentales comme ça bah c'est extremement compliqué. Je dis pas qu'avoir un cancer c'est facile, loin de la, mais au moins tu te bas pas contre toi même. Quoi que, un peu en fait. Je sais pas j'arrive pas à expliquer.
-Tu penses que l'anorexie c'est psychologique?
-Carrément oui.
-J'connais une autre fille qui a été anorexique pendant des années et qui, en plus, se défonçait. C'était mon plan cul, a chaque fois qu'on baisait elle finissait par me dire qu'elle kifferait caner en baisant. Elle devenait dingue, elle attendait trop la mort. Jusqu'au jour ou elle a eu ce qu'elle voulait, un peu trop de coke et elle est partie. Je savais pas si il fallait que je sois triste ou pas parce que je savais qu'au moins elle se sentirait mieux la haut. Et surtout que c'était ce qu'elle désirait le plus au monde. Elle était danseuse et si tu l'avais vue danser je suis sur que t'aurais kiffé. Elle laissait personne indifférent, elle était super belle et putain ce qu'elle dégageait en dansant.
-Tu vois, j'ai toujours eu peur qu'on parle de moi à l'imparfait.
-J'peux comprendre. Moi aussi j'ai peur de ce qui se passera ici après ma mort.

On ne se regardait pas, nos positions avaient changées au cours de la discussion sans que je ne m'en rende compte. J'avais la tête posé sur son épaule et sa main dans mes cheveux, on était bien.

C'est à cet instant que j'en ai pris conscience : ça faisait un bail que je n'avais pas ressenti de vrai bonheur et un réel état de plénitude.

FEAR [K.S.]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant