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Notre longue semaine touchait à sa fin, je venais de terminer mon dernier examen et Ken avait son dernier freestyle pour PlanetRap avec L'Entourage ce soir. J'étais épuisée par cette semaine plutôt intense, mais j'étais surtout soulagée que tout soit terminé.

Je préparais un peu à manger pour moi, uniquement des choses que j'aimais par dessus tout, comme dernier test.

Je m'assaillais devant mon assiette, sentais mon ventre gargouiller, mais impossible de porter cette satanée fourchette à ma bouche.

J'étais dégoutée par la vision et l'odeur de la nourriture, je m'étais forcée toute la semaine face à Ken pour ne pas avoir à lui parler de mon état.

La vérité était que je me sentais replonger dans cette maladie destructrice, qu'il m'était presque impossible d'avaler plus de 3 bouchées de mes plats et que j'avais instinctivement envie de vomir après les avoir ingurgitées.

Je sentais de plus en plus son regard sur mon corps, de plus en plus insistant et de plus en plus fréquent.

Je m'étais décidée après ce repas à en parler à mon copain, lui expliquer que me forcer ne menait à rien et que j'avais probablement besoin d'aide.

Mais comment obtenir de l'aide de quelqu'un si je n'arrivais toujours pas à détécter le soucis qui me mettait dans cet état?

J'entendais la porte d'entrée claquer, ce qui me sortit de ma reflexion.

Ken venait embrasser mon crâne avant de se servir un grand verre d'eau et de le terminer d'une traite.

-T'as mauvaise mine, ça s'est mal passé ce matin?
-Non, ça va.
-Qu'est ce que t'as alors?
-Rien, t'inquiète.
-Dis moi.
-Tu veux manger? J'ai préparé des trucs.
-Change pas de sujet.
-Je t'expliquerai après manger. Tu veux de quoi?
-Ça. Dit-il en pointant mon assiette.

Je lui servais une portion du gratin que j'avais préparé plus tôt dans l'apres-midi puis m'installais à ses côtés.

-Bon vas y, raconte.

Je le regardais attentivement manger, lui attendant que je parle et moi attendant une poussée de courage.

Mes larmes commencèrent à couler, rendant Ken perplexe puis complètement déboussolé.

-Eh, pleure pas Nana, ça doit pas être si grave, si? Dis moi.
-Je crois que je retombe malade. Je le vis pâlir puis enlever sa main de ma joue.
-Tu crois ou t'es sûre?
-Je crois.
-Qu'est ce qui te fait dire ça?
-J'arrive plus à manger, je maigris à vue d'oeil, j'ai l'impression d'avoir tout le temps faim puis plus du tout quand j'essaie de manger. Je me sens pas bien, je suis fatiguée, comme si j'avais couru un marathon tout le temps.
-Qu'est ce que je peux faire pour toi bébé?
-Je sais pas. Je crois que j'ai besoin de me faire suivre, je veux pas encore faire souffrir mon entourage. Et puis c'est pas le moment, entre ma sœur qui attend un bébé, toi qui sors un album, mes parents qui préparent leur déménagement. J'étais effondrée à l'idée de faire souffrir ma mère et ma sœur, encore une fois.
-Eh, mon cœur, c'est pas de ta faute tout ça, tu le sais non? T'y peux rien, t'es comme ça, on sait tous que tu choisis pas d'être malade. Personne ne le choisit d'ailleurs mais toi encore moins que les autres.

Je le serrais dans mes bras, de toute mes forces. Rarement je n'avais eu aussi besoin de sentir la présence de quelqu'un, mais c'était bel et bien la première fois que je parlais de mes problèmes avant qu'ils ne se transforment en drame. J'étais mitigée, ne sachant pas vraiment quoi ressentir entre le soulagement d'avoir parlé, la peur qu'on m'abandonne ou que je blesse ma famille et la satisfaction de savoir que mon copain essaie de prendre soin de moi.

-Calme toi Emy, ça va aller j'te promet. Il caressait mes cheveux en déposant de légers baisers sur mon front.
-J'ai besoin d'aide. Répétais-je.
-On va te trouver un professionnel qui saura sûrement mieux t'aider que moi.

Je hochais simplement la tête, les joues baignées de larmes.

-Je vais aller dormir un peu je pense.
-Je viens avec toi.
-C'est dans combien de temps ton freestyle?
-Quelques heures, je reste ici si tu préfère.
-Non! Surtout pas.
-Ah sympa. Pourquoi ça?
-J'ai promis à Hakim que je t'éloignerai ni d'eux ni de ton travail. La ça serait faire les deux en même temps et puis j'ai pas trop envie qu'ils sachent que je suis anorexique.
-Était.
-C'est pareil.
-Bah non Nana, tu l'es plus, t'es guérie. Je sais que c'est compliqué en ce moment mais essaie de positiver, y'a encore quelques jours ça allait, c'est juste une mauvaise passe, peut être à cause de tes exams, de ton déménagement ou j'en sais rien, y'a eu plein de trucs en même temps mais t'inquiète, ça va passer.

Je m'étais installée dans le lit après m'être déshabillée, suivie de Ken qui me serrait désormais très fort dans ses bras.

-Tu fais quoi demain?
-Rien, j'avais prévu de passer la journée au lit. Et toi?
-Ma mère m'a appelé tout à l'heure pour savoir si je voulais venir manger chez eux demain midi. Tu veux venir?
-Je veux pas déranger.
-Tu déranges pas, recommence pas avec ça. J'te propose comme ça tu rencontres ma famille. J'pense pas qu'il y aura ma sœur par contre.
-Ah bon? Pourquoi?
-Elle taffe les week-ends dans une boite pour la gestion financière et tout, comme ça elle a de l'expérience et elle paye ses études.
-Elle fait ça comme études?
-Ouais, j'crois. Mes parents payaient avant mais elle veut s'assumer seule alors elle bosse.
-C'est cool alors. Et du coup pour demain, préviens ta mère comme ça c'est pas trop génant quand j'arriverais.
-T'inquiète.

Il prit son téléphone pour écrire un message à sa mère, la prévenant qu'il viendrait avec une amie, ce qui ne me rassura pas tellement. Allaient-ils penser que je ne suis qu'une amie?

-J'vais demander à Doum's si il connait pas un bon psy.
-Pourquoi lui?
-Il allait chez le psy avant donc il en aura peut-être à te conseiller. Si un mec à réussit à soigner Doum's, il peut soigner n'importe qui.
-C'est pas vraiment soigner le terme, c'est plutôt aider.
-Ouais pardon, aider. J'sais pas comment je vais faire pour lui expliquer pourquoi j'ai besoin d'un psy par contre.
-Tu peux lui dire. De toute façon si ça continue ils remarqueront bien que je ressemble plus à rien.
-Arrête de dire des trucs comme aç. J't'ai dit, ça va aller, tu vas t'en sortir avant que ça devienne grave. T'es pas toute seule Emna, j'suis la, y'a ta reus, tes darons, tous les gars, tes potes sauf celui qui a essayé de te gérer là.

Je riais à l'évocation de ce moment gênant qui me paraissait si loin alors que c'était assez récent.

-Ah putain, il s'en est passé des choses depuis.

FEAR [K.S.]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant