Comparution

14 1 0
                                    


Assis en cercle, chacun pouvait s'exprimer librement selon son besoin. Une thérapie de groupe pour encourager et se sentir entouré face aux épreuves tout au long du parcours. Une activité régulière enseignant qu'une autre existence était possible. Une vie faite de chose simple.

Pour la première fois, Gabriel fut attentif à son entourage. Bien qu'il connût le but de son séjour, il n'en comprenait pas moins l'utilité. À la surprise de tous, il prit la parole :

« - Mais... Pourquoi vouloir nous rendre seuls ?

Se posèrent sur lui des regards emplis de compassion et de pitié, ou plein d'empathie ; certains se sont déjà sentis comme lui, dans ce désarroi qu'ils ont surmonté, d'autres vivaient encore cette épreuve accablante. Le thérapeute était enthousiaste, cette initiative démontrait une volonté de coopérer. Et chaque démarche devait être gratifiante pour espérer une réussite...

L'appréhension d'une réponse. Depuis bien longtemps Gabriel ne connut cette sensation. Comme l'impuissance, la fragilité, ou toute autre forme de faiblesse. Accompagné de sa belle, et quand bien même aussi parfois de toutes ses autres petites copines autant séduisantes qu'alléchantes et attachantes, il dominait et obtenait ce qu'il souhaitait.

Ici, seul dans cette bulle, loin de tout, loin d'elle, loin de lui-même, il ne se reconnaissait plus. Il avait perdu le contrôle, et elle aussi. La seule animant ses émotions. La seule et unique les anesthésiant pour faire de lui un surhomme, quelqu'un que rien n'effraie ni même n'égalise. Même ces autre conquêtes n'arriverait à combler le manque de sa belle qui le hante.

- ... et tout cela vous apporte des problèmes que vous n'auriez jamais dût affronter.

Cette phrase du thérapeute capta toute l'attention de Gabriel. Il se sentit offensé par ce dernier, qui n'était qu'un adulte en blouse blanche et qui, visiblement, n'y connaissait rien. Absolument rien. Cette clinique voudrait lui faire croire n'importe quoi. Le seul vrai problème, c'est l'absence de sa belle. Jamais il n'eut dû faire face à tant de tourments avant d'être ici.

Gabriel se leva calmement de sa chaise. Les deux hommes se regardèrent droit dans les yeux. Un silence lourd plombant l'atmosphère.

- Vous n'êtes tous qu'une vaste blague.

La colère et le manque prirent le dessus sur la raison de Gabriel. Ce dernier saisi brusquement sa chaise et la lança vers son interlocuteur qui peina à s'en protéger. Cette sauvagerie l'apaisa un court instant, avant que deux gardes se jetèrent sur lui et l'immobilisèrent de tout leur poids, rallumant ainsi le brasier de haine qui le consumait. 

Paralysé face contre sol, la joue écrasée sur le sol froid et sale, le patient compris à ce moment que tout était perdu. On le traînerait dans ces lieux jusqu'à ce qu'il se soit débarrassé de sa belle séductrice. Ils étaient voués à être séparés. Elle qui faisait pourtant de lui un homme. C'était inconcevable. Est-il réellement possible d'oublier une telle relation?

Dans les couloirs résonnants, il déjeta son rêve :

- Laissez-moi crever avec elle dans mes bras ! »

Au moins savait-il déjà à quoi cela ressemblerait, contrairement au cauchemard qui l'attendait

...

Une cellule ronde, vide, tout en gomme, sans fenêtre. Une ampoule suspendue au plafond. Gabriel, accroupi, s'enlaçait les genoux. Le manque de sa belle lui faisait terriblement mal. Il souffrait de sa peine. Un isolement forcé qui le plongeait dans une phase de mélancolie intense, de détresse extrême.

Il pleurait en silence, le regard hagard. Il était si vulnérable, abandonné, vraiment. Il avait besoin d'elle comme jamais. Surtout maintenant, c'était une nécessité urgente, vitale même. Il se sentait minable, indésirable, misérable. Il voulait se cacher, se terrer, se tasser encore plus profondément que le gouffre dans lequel il gisait.

Sans elle, sa belle blanche, il découvrait des émotions enfouies, oubliées. Des réactions inconnues et ingérables. Il les affrontait maintenant, toutes à la fois. Mais se dévorant. Car elle était son baume au cœur, un remède aux états d'âme. Mais aussi une source de plaisir, d'extase instantané. Une muse qui mène à l'accomplissement de soi. Elle était sa raison de vivre...

Gabriel avait honte. De son état, de ce qu'il était devenu. Mais c'était impossible pour lui de l'oublier dorénavant. Sa vie lui était consacré, elle était toujours là quand il la voulait. Il entretenait une relation sans retour.

Gabriel se releva. Il n'était plus que douleur à cet instant. Il se mit face au mur et le frappa de son crâne aussi fort qu'il put. Puis une deuxième fois de plus. Encore et une fois encore. Une tache de sang se dessina. Il sourit à grandes dents, les yeux écarquillés ; il n'avait même pas eu mal. Comme si elle était là, avec lui. Il remit un coup plus fort encore. La tache fut encore plus sombre. Il ricana. Son sentiment d'extase grandit. Elle était presque avec lui !

Ce n'était pas dans un état de transe qu'était plongé cette fois Gabriel, mais de démence.

Face à cette folie, le gardien n'eut d'autre choix que d'enclencher une alarme stridente qui calma le patient en l'étouffant sous ses propres cris.

Ce dernier comprit qu'ici même ses plus sincères sentiments seront emmurés. Il ne pouvait s'exprimer librement... Pas comme quand il était avec sa blanche. Elle, elle les contrôlait, et lui, savait en jouir. Un duo parfait. Alors Gabriel se sentit seul, comme il ne l'avait jamais vécu.

Gabriel voulu mourir.

...

Seul dans son cabinet, le médecin lisait le dernier rapport de la journée. Il faisait état d'une crise d'hystérie et de tendances autodestructrices au sein de la cellule d'isolement... Les émotions de ce patient ne trouvaient que violence, n'étaient que tourments. Il était de ceux qui vivaient une relation assez unique, et largement ignoré par le grand public. Même la médecine n'avait de mot unique pour le décrire. Cela dépassait toute forme d'amour, d'addiction, ou de domination.

Le docteur sourit. Dans la suite logique de la thérapie, le patient marchandera bientôt sa condition. Puis acceptera sa nature véritable. Et ensuite, seulement, il deviendra un homme délivré de lui-même. Entièrement.

...

Perdu dans la fuite du temps, Gabriel était toujours seul et sans repères dans cette triste pièce vide faite de gomme. Cet enclos le mettait seul face à lui-même et ses réflexions. Ses propres ressentis mis à nus, reflétés dans leur plus bel effroi, inlassablement.

Comme dans un long couloir étroit, son raisonnement chemina logiquement. Il comprit sa situation en ces lieux, et le rôle qu'il lui restait donc à jouer.

La porte s'ouvrit pour laisser entrer le docteur.

« - Comment te sens-tu Gabriel ?

Il ne répondit pas tout de suite, mais le fixa intensément depuis le sol à l'autre bout de la pièce. Gabriel attendit encore quelques secondes pour prononcer faiblement une affirmation qui se voulait être une demande :

- Je veux sortir »

Sous ses louangesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant