Conte à rebours

12 2 0
                                    


Comme chaque matin, l'infirmier rempli le pilulier de ces patients. Il sifflotait et semblait satisfait. Son patient le plus récalcitrant au traitement était devenu au fil de son séjour l'un des plus compliant. Les progrès accomplis étaient incroyables. Il en était devenu un homme calme, patient et bon, l'exact opposé de ce qu'il était avant d'arriver.

L'infirmier entra dans sa chambre. Gabriel était assis sur le bord de son lit, un verre d'eau à la main. Il semblait impatient de sa venue. Ils eurent une agréable discussion de courtoisie le temps que le patient gobât ses cachets. En repartant, le membre du personnel lui donna la feuille de l'activité journalière.

A peine la porte fut claquée que Gabriel régurgita ces insanités chimiques dans un silence presque parfait. En aucun cas, jamais, il ne prendra de calmant ou autre décontractant musculaire et anabolisant. Non. Il lui fallait être conscient et rester maître de ses gestes. En permanence. Il fallait assurer comme avec elle. Peu importe le prix à payer. Car sans elle à se mettre sous la dent, il se mordait la queue.

Jamais il n'oubliera sa douce, et personne ne pourrait le forcer. C'est parce qu'elle était sa faiblesse qu'elle le rendait si fort, si doué pour se défendre, attaquer et réussir. Doué pour gagner.

...

L'examinateur ne détachait pas son attention du patient s'impliquant avec entrain dans les activités forcées. Tout le corps médical se félicitait des progrès comportementaux soudains, sauf le thérapeute. Il accompagnait ces internés une bonne partie de ses journées, chaque jour de chaque semaine, l'une après l'autre. Il les connaissait mieux que n'importe quel autre de ses collègues.

Gabriel levait les yeux par moment pour vérifier si leur garde le lâchait parfois du regard pour observer les autres dans la pièce. Mais il semblait le provoquer, vouloir le mettre mal à l'aise. Comme s'il savait. Le patient prit alors une profonde respiration. Ferma les yeux. Et se calma autant qu'il le put.

Plus le temps passait, plus il était nerveux. Le quotidien était difficile à supporter, à vivre. Il ne saura bientôt plus se voiler en public, il le savait, il le sentait. Il avait besoin d'elle pour ça. Mais il devait prouver qu'il était capable de se canaliser en l'attendant. Il ferait tout pour elle, même marcher sur son honneur et sa dévotion comme l'exigeait cette dégradante clinique. Car il faisait partie de ces gens que rien n'arrêterait pour ce qu'il désire.

Des plans clairs et tordus, il en avait déjà fait des centaines. Celui-ci n'était qu'un de plus, mais en solitaire.

Quand ils purent tous quitter la pièce, Gabriel se leva de sa chaise et alla vers le bureau de l'examinateur. Un sourire carnassier au coin des lèvres, il lui tendit ladite feuille de l'activité, mais roulée sur elle-même, en un tube. Le thérapeute la lui arracha des mains et en fit une boule. Il le défia du regard, de manière encore plus intense, agressive. Mais ce dernier n'avait aucun pouvoir de décision sur la sortie du patient. Et Gabriel le savait. Alors il rit, perfidement.

Le thérapeute jeta la boule de papier au pied d'un mur. Elle roula vers lui après l'impact. Il se tourna vers le patient qui sorti à ce moment de la pièce. Il souffla d'exaspération, et lui murmura, sans qu'il puisse l'entendre :

- Enfuis-toi aussi loin que possible de cette prison terne et morose pour être libre au sein de ta cage dorée. Tu reviendras, rampant ici, lorsque tu iras trop loin sans même t'en rendre compte.

Car Gabriel, comme tout le monde, vit dans le trou de la tombe qu'il se creuse.

...

Sous les rayons lumineux du matin, un air doux et chaud lui caressant la peau, les poumons emplis de liberté, il était fier et satisfait. Sa duperie prit, trompant son monde. Triomphant seul. Il devait savoir l'ignorer s'il voulait la retrouver.

Elle, la belle blanche ou autre fidèle copines qui doivent, à l'heure actuelle comme toujours, être auprès de leurs admirateurs secrets. Au creux de chaque bras, aux bords de toutes les lèvres, rivées d'yeux brillants. Elles sont partout et prises sous toutes leurs formes. A la paille, à la pipe ou en seringue.

Les Accros vivent pour des artifices tels qu'une belle blanche qui n'est au final que poudre aux yeux. Ils sont un peuple d'instants, intenses. Instables.

Gabriel regarda le paysage devant lui. Cligna des yeux. Il n'était plus dans un rapport d'amour ou d'addiction, mais plutôt de possession ; et il s'était perdu dans son rôle.

C'est lorsque les jours se ressemblent et s'assemblent que tout dégringole.

Sous ses louangesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant