DIARY - JOUR 12
Je ne sais pas quelle heure il est. Il y a cette voix dans ma tête qui répète sans cesse des mots vides de sens.
"Il faut que je dorme, il faut que je dorme, il faut que je dorme."
Je n'y arrive pas. Mon cerveau fulmine, me crie dessus et m'ordonne de trouver le sommeil. C'est insoutenable. La lampe grésille, je crois qu'elle ne va pas tarder à me lâcher. Mais il faut que j'écrive. Les mots se bousculent, s'entrechoquent, se massent. La vérité, c'est que je ne sais pas lesquels écouter. Ils se multiplient, font échos à mes pensées comme des âmes qui crient au désespoir. Les échos des âmes. J'ai l'impression de devenir folle. Dans l'océan de syllabes et de consonnes, j'ai entendu le mot tragédie. Il m'a coupé le souffle, avec cette consonance étrangère, inappropriée. Je me suis sentie glisser. Comme si je me faisais happer par les ténèbres de la pièce et par la tristesse.
DIARY - JOUR 13
Après les cours, je suis directement allée à la bibliothèque. J'ai ouvert ma boîte de réception comme si ma vie en dépendait et ai découvert sans surprise un message de la part de Benjamin. Un faible sourire s'est formé sur mes lèvres, alors que je décryptais l'e-mail des yeux.
Alex,
Tu peux m'appeler comme tu veux. Je suis occupé tout de suite, mais je t'enverrai un message dès que je pourrais,
B.
Ce mail datait d'hier. Je me suis redressée brusquement sur ma chaise et ai tâtonné la poche de mon sac dans l'espoir de trouver mon portable. Aucun message à l'horizon. Je suis rentrée chez moi sans demander mon reste.
Il est dix-huit heures et quarante-huit minutes. Je me suis souvenue d'un truc que j'aurais préféré oublier. Il y avait ces notes, dans un vieil agenda. Je ne sais pas si j'ai bien fait de les lire. Je vais les recopier, au cas où. On ne sait jamais.
Le trajet fut désagréablement rempli de craintes et d'angoisses. J'ai passé mon temps à guetter les rues sombres, la boule au ventre, en m'imaginant une demi-douzaine de scénarios grotesques et effroyables. Nous sommes garées dans un parking de pompes à essences. Maman est partie chercher à manger pendant que je reste là, anxieuse, prostrée sur le siège avant, en m'obligeant à écrire pour ne pas oublier la douleur sourde que je ressentais au fond de moi. Celle qui me donnait envie de m'auto-détruire.
DIARY - JOUR 14
Il m'a appelé, hier. Je me suis sentie incroyablement bien. Il a dit qu'il était drôlement content de m'avoir au téléphone. J'ignore ce que cela veut dire. Dans tous les cas, cela ne doit pas être une mauvaise chose. Entendre sa voix m'a fait chaud au cœur. Nous parlons par messages, en ce moment-même. Il m'a demandé ce que je pensais du Café Rouge. Je lui ai répondu que je n'avais aucune idée de ce que c'était, et il s'est étonné. Il a promit de m'y emmener, un jour.
Nous sommes en train de décider d'un rendez-vous. Je n'arrive pas à tenir le stylo, tellement je tremble d'excitation.
Trocadéro, demain, 15h15.
DIARY - JOUR 15
Je n'en reviens toujours pas. Il était là, habillé d'un pull gris d'où dépassait une chemise en jean, un pantalon noir et d'un manteau en drap de laine de la même couleur. Il contemplait calmement la tour Eiffel, le regard vague. Il était si beau, si grand. Sa peau était lisse et claire, parsemée de petites tâches de rousseurs, ses cheveux bruns et épais légèrement bercés par le vent. Je me suis raidie.
"- Benjamin ?" avais-je demandé, une fois arrivée à sa hauteur.
Il s'est gentiment tourné vers moi, et il m'a souri. J'ai fondu. Ses yeux rieurs étaient un mélange entêtant d'ambre et de vert feuille. Nous nous sommes assis sur les marches. Nous avons parlés, longtemps. Le ciel s'est teinté de grisaille. Il s'est mis à pleuvoir. Il a prit ma main. J'ai sursauté.
"- Détends-toi," a-t-il intimé.
Nous avons courus, sa paume pressée contre la mienne, les joues rougies par l'air frais. Nous nous sommes arrêtés dans le café dont il m'avait parlé, et nous avons commandés deux chocolats chauds. La pluie tambourinait sur la vitrine qui jouxtait notre table.
Ensuite, nous avons parlés de nous. Je lui ai parlé de mon père, et il m'a parlé de sa mère. Je lui ai adressé un sourire compatissant. Nous avons dérivés sur nos journaux respectifs. Il m'a demandé si je lui avais trouvé un nom. Je lui ai dis que oui, qu'il s'appelait désormais "Les échos des âmes" . Il a trouvé le nom génial, et ça m'a fait plaisir. Sinon, nous nous sommes trouvés une multitude de points communs. J'ai découvert ses centres d'intérêts, ses films et ses plats favoris, tout comme il a prit connaissance des miens. J'avais, et j'ai encore aujourd'hui, cette étrange impression de le connaître depuis des années. Je pouvais sentir cette attirance nette, qui semblait me pousser vers lui de toute ses forces.
"- Quoi, vraiment ? Tu ne connais pas ce jeu ?"
J'avais secoué la tête en me mordant la lèvre.
"- Une question, une réponse. C'est simple, non?"
Il s'était mis à rire, emplissant le café de bonne humeur. Les gens avaient relevés la tête pour le contempler, envieux. Je m'étais surprise à sourire d'un air béat et presque stupide. Il y avait ce vague sentiment de paix intérieur qui vibrait en moi, infime mais présent. Nous avons enchaînés questions et réponses pendant un bon quart d'heure, avant de finalement quitter le café. Le chemin du retour fut beaucoup plus calme. Nous avons marchés en silence dans les rues humides de la capitale, perdus dans nos pensées respectives, le ciel grisonnant et menaçant au-dessus de nous.
Quand il est parti, ce fut un déchirement. En vérité, j'avais gardé en moi le minuscule espoir qu'il rebrousse chemin.
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Les échos des âmes
NonfiksiEn référence à toutes ces voix qui tourbillonnent au fond de moi. [hiatus]